LETTRE DE NAIROBI
Avec un grand clapotis, un autre seau d’eau a éclaté en mille gouttelettes sur la voiture. Le laveur venait de récurer minutieusement les jantes, de shampouiner la carrosserie et de secouer les tapis de sol. Maintenant, il était de nouveau là, plongeant son seau dans un égout à ciel ouvert. Il a ensuite déplacé la voiture vers la « zone de séchage », où elle est polie avec toutes les portes ouvertes.
En passant par cette avenue de Kileleshwa, un quartier résidentiel du centre de Nairobi, un œil non averti ne verrait que de nombreuses voitures. Ce lave-auto en bordure de route, typique des milliers de petits métiers qui composent le secteur informel de la capitale kenyane, gère des dizaines de véhicules chaque jour, de l’aube au crépuscule.
Le prix d’un aménagement standard « extérieur-intérieur » est de 150 shillings (environ 1,07 €). Ce tarif séduit “98% des chauffeurs de covoiturage”, souligne Patrick Sabula, président de la coopérative, soulignant l’obsession de ses clients pour la propreté. Ian Thuo, chauffeur Uber depuis quatre ans, vient ici quotidiennement. La poussière persistante de la ville s’infiltre constamment dans la voiture.
Les jours de pluie, lorsque la boue tache sa berline grise, il peut venir jusqu’à deux fois en une seule journée. “C’est mon bureau mobile”, explique l’élégant presque quadragénaire vêtu d’un polo noir et d’un pantalon rouge vif. “Pouvez-vous imaginer aller travailler tous les jours dans un bureau sale ?” Il estime que les stations de lavage répondent à une forte demande dans une métropole connectée où les applications de transport privé ont explosé.
Certains ont même des salons de coiffure
L’augmentation du nombre de lave-autos reflète généralement l’essor du nombre de véhicules en circulation. Symbole de statut social, posséder une voiture individuelle est aussi devenu un dénominateur commun pour la classe moyenne, en croissance depuis les années 2000. Pour beaucoup, cela leur permet d’éviter les transports publics inefficaces, bondés, bruyants et dangereux.
Cependant, grâce à l’offre abondante de véhicules d’occasion, les groupes à faible revenu ont également réussi à acheter des voitures, explique l’économiste XN Iraqi. Quant aux plus riches, ils « aiment se différencier avec des voitures plus grosses et plus exotiques ». Selon le professeur de l’Université de Nairobi, ces stations sont aussi “le signe que l’économie a atteint un niveau supérieur, où les gens se spécialisent. Au lieu de laver ma voiture (…), quelqu’un d’autre le fera à ma place”. Il a souligné que les pays voisins comme la Tanzanie et l’Ouganda, dont le PIB est bien inférieur, ne disposent pas d’autant de lave-autos.
Dans ce contexte, les lave-autos s’adressent à tous les goûts et à tous les budgets, depuis les petites stations où l’eau est puisée dans une rivière trouble jusqu’aux arches automatiques flashy. Dans le même temps, le restaurant incontournable qui accompagne chaque car-wash s’est également considérablement diversifié : du simple kibanda, un restaurant traditionnel au toit de tôle, aux lieux chics servant des menus coûteux de spécialités de cafés et de bagels, où l’on peut s’attarder pour un déjeuner entre amis.
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