Docteure en communications publiques, Émilie Foster est professeure agrégée de politique appliquée à l’Université Carleton. Ses recherches portent principalement sur les partis politiques, la démocratie et la communication politique. Elle a été membre du gouvernement de la Coalition Avenir Québec de 2018 à 2022. Elle avait auparavant été conseillère politique au sein du cabinet de François Legault dans l’opposition.
Les militants du Parti libéral du Québec (PLQ) semblaient très heureux de revenir sur le devant de la scène politique québécoise lors de leur congrès le week-end dernier. Mais l’empressement dont les aspirants dirigeants ont fait preuve ici et là lors du rassemblement pourrait bien s’avérer contre-productif pour le PLQ.
Les congrès sont des moments importants dans la vie d’un parti. Ils offrent aux militants une occasion unique de discuter et de débattre d’idées. La priorité devrait être d’écouter ces militants. Toutefois, à Lévis, ce sont les aspirants chefs qui occupent le devant de la scène.
Prenons l’exemple du député fédéral Pablo Rodriguez, l’un des favoris, qui a dévoilé juste avant le congrès une lettre de soutien signée par une quarantaine de personnalités et militants. S’il voulait prouver qu’il disposait de nombreux soutiens, une telle initiative aurait pu être réservée à un moment stratégique de la campagne. Il était selon moi inutile de brûler cette cartouche prématurément.
Les aspirants dirigeants se sont également prononcés sur divers sujets comme la loi 96 (réforme de la Charte de la langue française), le troisième lien ou la possibilité de rédiger une Constitution québécoise (les militants ont adopté une résolution en ce sens). Ces positions multiples posent deux problèmes : celui de la cohérence avec les positions officielles du parti et celui du piège de gouverner inutilement trop tôt.
Le député Frédéric Beauchemin a joint sa voix à celle de l’ancien maire de Montréal Denis Coderre en faveur d’un troisième lien autoroutier au Québec, contrairement à la position officielle du parti. Denis Coderre a affirmé qu’il abolirait (ou « mettrait au rebut », dans son langage) la nouvelle version de la Charte de la langue française adoptée par la CAQ. Frédéric Beauchemin et Pablo Rodriguez ont tous deux affirmé qu’ils annuleraient le gel des inscriptions dans les cégeps anglophones (ils sont en ligne avec le parti sur ce sujet).
En termes de communication politique, cet affichage de positions peut s’avérer hasardeux. Toutes les opinions doivent être entendues dans le cadre d’une campagne, il sera sain et nécessaire d’en débattre… mais pas forcément lors d’un congrès du parti. Et surtout pas deux mois avant le départ de la course.
Pour les aspirants dirigeants, décider trop tôt des problèmes peut se retourner contre eux. Dans le monde de la communication, le timing est crucial. Une course à la direction, c’est comme une campagne électorale : tout peut changer en un instant. En prenant position dès maintenant sur des sujets sensibles, les candidats risquent de devoir réajuster leurs discours en fonction des fluctuations de l’opinion publique ou des événements à venir, ce qui pourrait à terme donner l’impression d’un manque de cohérence et affaiblir leur crédibilité.
Lors des congrès, les journalistes poussent les candidats à s’engager sur divers sujets. Cependant, il est souvent plus sage pour les aspirants dirigeants de faire preuve de retenue et de réaffirmer que leur programme sera présenté en temps voulu.
Le PLQ a structuré la course en quatre phases bien définies. La première, intitulée « Phase de consultation », débutera officiellement le 13 janvier 2025. Les candidats pourront ensuite parcourir le Québec pour répondre aux conditions d’admission (signatures des membres, financement) avant le 11 avril. La deuxième phase, celle de la communication, s’étendra d’avril à juin et sera rythmée par quatre débats. Ensuite, la phase de vote se déroulera sur six jours, culminant avec le congrès du 14 juin à Québec, où le nouveau chef sera élu. Cette structuration fournit un cadre clair. Les débats et les échanges constructifs seront nombreux durant les cinq mois de campagne, il ne faut rien précipiter.
Le PLQ traverse une période difficile, sa popularité est au plus bas auprès des électeurs francophones. Cette course à la direction pourrait bien marquer le début d’une nouvelle ère pour le parti… à condition que les libéraux fassent les bons choix stratégiques, tant au niveau de l’orientation que du programme.
Le prochain chef devra faire preuve de finesse et d’audace pour reconnecter le PLQ avec les francophones et les électeurs de la grande banlieue de Montréal et des régions, ce qui impliquera d’aller à la pêche dans l’électorat caquiste.
Dans ces circonstances, le parti doit choisir un leader capable de rallier l’électorat nationaliste et régional, et non simplement opter pour un bon organisateur. Élire un manager efficace ne suffira pas ; C’est d’un vrai leader, d’un visionnaire, dont le PLQ a besoin. Le candidat qui vendra le plus de cartes de membre ne sera pas forcément celui qui saura incarner cette ambition de renouveau. C’est un point que les militants devront garder à l’esprit lorsqu’ils feront leur choix.
En politique, la patience et la retenue sont des vertus souvent sous-estimées. Même si la course à la direction n’a pas encore commencé, les aspirants dirigeants doivent se rappeler que se précipiter peut être un piège. Mieux vaut être stratégique, réserver ses arguments aux moments clés de la course, et surtout éviter de brouiller le message avant même le top départ. Pour une équipe qui aspire à reconquérir le cœur des Québécois, cette course représente bien plus qu’une simple compétition interne : c’est une étape décisive vers la reconstruction de son identité.