La guerre civile en Syrie aura bientôt 14 ans. Ces dernières années, le conflit avait été quelque peu oublié de la communauté internationale et des médias en raison du calme relatif qui régnait dans le pays, notamment grâce au cessez-le-feu précaire qui dure depuis 2020 à Idleb, dans la région frontalière. avec Alep et la Turquie.
C’est donc avec surprise que le monde a appris qu’une coalition d’opposants au régime de Bachar al-Assad, dirigée par le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS), et l’Organisation de libération du Levant, qui contrôle la région d’Idleb depuis 2019, avait a lancé une offensive ces derniers jours afin de prendre la ville d’Alep (et peut-être plus).
Cela n’aurait pourtant dû surprendre personne, car la paix n’a jamais été instaurée depuis la violente répression par le président Bachar al-Assad, dictateur depuis les années 2000, des manifestations pro-démocratie entourant le printemps arabe de 2011. La Syrie, qui comptait alors près de 23 millions d’habitants, dans une guerre civile sanglante. À ce jour, elle a provoqué le déplacement de près de 14 millions de personnes et tué plus de 300 000 civils, selon les estimations de l’ONU.
La surprise devrait plutôt être suscitée par le niveau de préparation et la rapidité d’exécution de HTS, autrefois affilié à Al-Qaïda (ce qui ne serait plus le cas aujourd’hui, selon ses dirigeants), mais toujours sur la liste des organisations terroristes de plusieurs pays. pays, dont les États-Unis et le Canada.
« HTS avait deux avantages face à Bachar al-Assad. La première, c’est qu’il a pu se préparer pendant des années sans être trop attaqué dans le nord-ouest du pays, à Idlib», explique Joost Hiltermann, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord de Crisis Group. , un groupe de réflexion sur les questions de sécurité mondiale basé à Bruxelles.
Le deuxième avantage, poursuit le spécialiste, est l’opportunité créée par les récents événements au Moyen-Orient, qui ont occupé les alliés du président syrien, à savoir l’Iran et le Hezbollah libanais. « Notamment les dégâts subis par le Hezbollah et, par extension, mais dans une moindre mesure, l’Iran contre Israël. Alors que la Russie (autre alliée de Bachar al-Assad) était occupée en Ukraine», ajoute le spécialiste lors d’un entretien téléphonique.
Dans ce contexte, il est compréhensible que les rebelles aient décidé de lancer leur attaque au moment où un cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah entrait en vigueur. En revanche, il est encore trop tôt pour savoir si l’offensive actuelle pourra aller plus loin, alors que le régime semble avoir choisi de quitter Alep et de se retrancher dans la ville de Hama, en attendant de rallier ses soutiens.
“S’il y a eu un cessez-le-feu, c’est parce que le Hezbollah ne pouvait plus combattre”, analyse Joost Hiltermann.
Ainsi, en cas de contre-offensive de Bachar al-Assad, le président ne pourrait pas compter sur le même soutien qu’en 2015-2016, lorsque ses forces, soutenues par le Hezbollah, l’Iran et la Russie, avaient réussi à inverser le cours de la guerre, chasser l’opposition d’Alep et établir ensuite un certain pouvoir sur une partie du territoire.
“Une chose qu’on a peut-être oublié, c’est que le régime avait récemment commencé à mettre de plus en plus de pression sur cette enclave d’Idleb avec des bombardements”, explique Stéfan Winter, professeur d’histoire à l’Université du Québec à Montréal et spécialiste de la région.
«La vie dans l’enclave d’Idleb doit être insupportable, d’autant plus qu’il s’agit d’une région durement touchée par le tremblement de terre de 2023. Assad avait redoré son blason en laissant entrer l’aide internationale en Syrie, mais personne n’était allé aussi loin qu’Idleb, où ce sont les Turcs qui sont présents », ajoute l’historien pour proposer une autre hypothèse concernant l’intervention de HTS à Alep.
Nouveau front, nouvel équilibre des pouvoirs ?
Cela dit, il n’en reste pas moins que cette percée du HTS risque de provoquer une réaction de Bachar al-Assad, alors que les forces russes sont déjà intervenues ces derniers jours, en soutien à leurs alliés, avec des bombardements aériens pour tenter de ralentir la progression. de combattants rebelles, dont le nombre est estimé entre 15 000 et 50 000 par la presse internationale.
La situation est également complexe. Au-delà de la Russie et de l’Iran, les États-Unis et la Turquie disposent également d’une force militaire sur le territoire et soutiennent des factions opposées ou, à tout le moins, ayant des objectifs différents.
D’un côté, les Américains soutiennent particulièrement les Kurdes du Nord-Est, qui y combattent des groupes terroristes et jihadistes comme l’État islamique. D’un autre côté, les Turcs considèrent les forces kurdes, notamment le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et les Unités de protection du peuple (YPG), comme des organisations terroristes en raison de leurs affrontements passés avec Ankara et de leur désir d’indépendance. sur une partie du territoire turc (c’est aussi historiquement le cas d’une partie des territoires syrien, irakien et iranien).
La Turquie soutiendrait également certaines forces rebelles, comme le HTS, dans leur conquête du nord-ouest de la Syrie, limitrophe du territoire turc.
« Cela a toujours impliqué tout le monde. Tout le monde est présent en Syrie», rappelle Stéfan Winter, qui a publié le livre en juillet dernier. Les croisements syro-kurdes à l’époque ottomane.
« De nombreux pays qui avaient soutenu l’opposition [pendant le printemps arabe] semblent avoir pleuré un changement de régime en Syrie. Mais cette idée repart aujourd’hui », ajoute Stéfan Winter. Selon lui, ce sont probablement les Turcs qui sont aux commandes. Les Turcs, qui accusent les Kurdes de vouloir faire sécession chez eux, espèrent les repousser loin de leur frontière, sur le territoire syrien. Et stabiliser la Syrie pour justifier le retour massif des réfugiés syriens actuellement dans leur pays.
Par ailleurs, plusieurs médias internationaux rapportent que la Turquie demande depuis plusieurs semaines, voire mois, une rencontre avec Bachar al-Assad pour résoudre la question kurde et celle des réfugiés syriens.
La Turquie souhaiterait également une forme d’autonomie pour Idlib, mais la Syrie exige le retrait des troupes turques de son territoire avant tout dialogue.
D’un autre côté, personne sur la scène internationale n’a intérêt à une plus grande déstabilisation de la Syrie.
Dans un communiqué, les Etats-Unis, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont appelé conjointement à une “désescalade” en Syrie, ce qui pourrait impliquer une volonté de laisser Bachar al-Assad au pouvoir.
Les Américains veulent également empêcher la montée de groupes jihadistes sur le territoire syrien, tout en empêchant l’Iran d’élargir ses routes d’approvisionnement vers le territoire syrien. Le Hezbollah au Liban. Un enjeu de sécurité pour l’allié israélien qui préfère le « diable qu’il connaît », comme le rappelle Joost Hiltermann.
De leur côté, le Liban, la Jordanie (soutien à al-Assad) et la Turquie craignent également l’arrivée de nouveaux réfugiés. Cette dernière souhaite également éviter des affrontements directs avec ses alliés russes et iraniens. Tandis que les Émirats arabes unis, qui soutiennent al-Assad, veulent éviter une trop grande influence de l’Iran et de la Turquie dans la région.
Au mieux, tout cela forcera peut-être Bachar al-Assad à s’asseoir avec l’opposition pour entamer des discussions sur une résolution du conflit à plus long terme. Dans le cas contraire, ce conflit continuera on ne sait combien de temps encore et la population continuera à payer le prix de cette guerre d’influence sur laquelle elle n’a aucun contrôle.