Ancien stratège conservateur qui a conseillé l’ancien premier ministre Stephen Harper lors de trois élections, Yan Plante a été chef de cabinet de l’ancien ministre Denis Lebel. Depuis l’été 2023, il est président-directeur général du Réseau de développement économique et d’employabilité du Canada, un groupe qui œuvre pour la vitalité économique des communautés francophones et acadiennes en situation minoritaire.
Dans l’imaginaire collectif, il existe plusieurs duos indissociables : Astérix et Obélix, Chip et Dale, Thelma et Louise, Batman et Robin, Marty et Doc, etc.
La version politique canadienne d’un duo considéré comme inséparable était Justin Trudeau et Chrystia Freeland. Ce dernier a mené très largement au sein du gouvernement Trudeau, jusqu’à son départ retentissant lundi.
Elle était ce que nous appelons dans le jargon politique la « réparatrice » du premier ministre. Lorsqu’il y avait un problème à résoudre, un enjeu à maîtriser ou un message à transmettre, c’était Chrystia Freeland qui se voyait confier la tâche. Elle a présidé des comités clés du Cabinet et a été mutée à différents postes ministériels lorsque le premier ministre avait besoin d’éteindre des incendies ou de faire avancer ses priorités.
C’est pourquoi le fait que la vice-première ministre et ministre des Finances quitte le Cabinet en publiant une lettre éloquente exprimant son désaccord avec les orientations budgétaires du premier ministre est l’uppercut qui ébranle le plus Justin Trudeau depuis son assermentation à 23 ans.e Premier ministre du Canada.
Le duo qui ne formait qu’un vient de se briser en morceaux, et l’étendue des dégâts n’est pas encore claire.
Dans sa lettre, Chrystia Freeland discute de l’importance de ne pas recourir à des « astuces politiques coûteuses » au détriment de la santé financière du Canada, alors que Donald Trump pourrait imposer des tarifs douaniers importants sur nos exportations. à compter de 2025, ce qui aurait de graves conséquences sur l’économie canadienne. L’ancien grand financier fédéral rappelle qu’il faudra disposer de marges de manœuvre pour répondre à cette menace. On décrypte ainsi clairement qu’elle était opposée au congé de TPS et au chèque de 250 $ promis aux Canadiens par Justin Trudeau (à noter cependant qu’elle a d’abord défendu le congé fiscal dans l’espace public…).
Si l’argument de Chrystia Freeland est tout à fait louable en substance, il n’est pas surprenant de voir le premier ministre Trudeau poursuivre sur la voie des déficits importants confirmés par la mise à jour économique du 16 décembre, jour où son ministre a claqué la porte. Cette stratégie des grands déficits est volontaire : elle est même au cœur du plan Trudeau.
Après neuf ans au pouvoir, le Premier ministre sait que les prochaines élections seront pour beaucoup une sorte de référendum sur sa personne : le thème du changement sera central. Justin Trudeau est un homme intelligent. Il comprend également qu’il serait désavantagé si 100 % des électeurs fondaient leur vote sur cette question précise : voulez-vous toujours que Justin Trudeau soit premier ministre ou non ?
Il doit donc essayer de porter la conversation ailleurs. Son succès se mesurera nécessairement par sa capacité à convaincre un grand nombre d’électeurs qu’ils devraient plutôt poser d’autres questions.
Et pour lui, l’un des meilleurs moyens stratégiques d’y parvenir est de continuer à dépenser sans retenue – cela le distinguera de Pierre Poilievre.
Convaincu que la situation fiscale et financière du Canada est toujours enviable par rapport aux autres puissances mondiales, le premier ministre n’est visiblement pas trop inquiet avec un déficit de près de 62 milliards de dollars et une dette nationale de plus de 1 300 milliards de dollars. .
À ce stade de la carrière de Justin Trudeau, la perception selon laquelle le premier ministre est un dépensier est « fermement ancrée ». Quoi qu’il fasse, cela ne changera pas : il ne cherche plus à convaincre ceux qui s’opposent vigoureusement aux déficits. Ces gens ne votent déjà pas pour lui.
Il ne serait donc pas rentable, électoralement, de ralentir le rythme des dépenses. Il ne ferait qu’aider son adversaire Pierre Poilievre.
Justin Trudeau veut convaincre l’électorat qu’une série de coupes arriveront si un gouvernement conservateur est élu, et que les entreprises, les organismes, les provinces, les municipalités, les particuliers qui bénéficient de programmes sociaux comme l’assurance dentaire et les fonctionnaires en paieront le prix. C’est avec ce message que Justin Trudeau croit pouvoir mobiliser à nouveau l’électorat progressiste.
Ce sont ces calculs politiques qui ont eu raison de Mme Freeland, tout comme de son prédécesseur Bill Morneau.
On peut reprocher à Justin Trudeau d’avoir perdu le contrôle de beaucoup de choses. La perte de contrôle est cependant involontaire. Dans le cas des finances publiques, il n’a pas lâché le volant. Au lieu de cela, il recule ses deux mains lorsqu’il considère que ses ministres des Finances oublient l’orientation de sa stratégie politique.
Reste à savoir si les électeurs seront d’accord avec lui…