Olivier Niquet a étudié l’urbanisme avant de devenir animateur radio à Radio-Canada en 2009 aux émissions Le Sportngraphe et La soir est (encore) jeune. Il est également chroniqueur, auteur, conférencier, scénariste et toutes sortes d’autres choses. Il s’intéresse particulièrement aux médias mais se définit comme un expert en polyvalence.
Il y a peu de moments de l’année que j’aime autant que les semaines de repêchage et l’ouverture du marché des agents libres (je parle ici de hockey, pas de pêche sportive). C’est parce qu’ils arrivent à un moment où je ne suis pas obligé de suivre l’actualité et ses histoires peu édifiantes. Je peux complètement me réfugier dans le monde de l’analyse sportive et oublier tout le reste. Du pain à l’ail et des jeux, comme on disait chez Pacini.
Actuellement, je me passionne pour les espoirs obscurs dont je ne retiendrai plus le nom dans un mois s’ils ne sont pas repêchés par le Canadien. J’essaie d’évaluer, depuis mon salon, l’état du genou de Carey Price (la télémédecine est pratique) et ses conséquences à moyen terme sur l’équipe. Je lis, j’écoute, je regarde avec avidité les chroniqueurs qui me proposeront 53 projets de scénarios essentiellement identiques, tout en me rappelant qu’il n’est pas impossible qu’ils se trompent. Comme le disait en plaisantant le journaliste Mathias Brunet (enfin, je crois) il y a quelques semaines : au vu du repêchage, il faut s’attendre à l’inattendu.
Le monde du sport et le journalisme qui l’accompagne forment une sorte d’univers parallèle où la rigueur des médias généralistes est facultative. Ce n’est pas une critique. C’est même une bénédiction de ne pas avoir à se soucier des intentions de ceux qui nous transmettent leurs analyses. Bien sûr, la plupart font leur travail avec sérieux, et cela est nécessaire pour que des histoires tordues comme celle du récent scandale de Hockey Canada soient relayées. Mais lorsque nous parlons de rumeurs commerciales ou de stratégie de jeu de puissance, nous n’avons pas trop de raisons de nous inquiéter. D’autant plus que le journalisme d’investigation sportif se résume aujourd’hui souvent à des conjectures sur d’éventuelles transactions. On ne parle même plus de rumeurs, on parle d’un gars qui dit : « Il me semble que le Canadien devrait échanger Jeff Petry contre un choix de première ronde des Islanders, et parlons-en même 10 minutes ». même si j’ai imaginé tout ça sur ma cuvette de toilettes. » Et j’adore ça.
Nous vivons dans un monde où un journaliste sportif peut se permettre de faire de la publicité pour un casino en ligne. Où les commentateurs peuvent porter un maillot de l’équipe qu’ils couvrent. Où les salariés de l’organisation peuvent reprocher aux journalistes de ne pas avoir soutenu les joueurs de l’équipe locale lors du scrutin pour la remise des trophées individuels. On n’y prête que peu d’attention car, au final, les conséquences ne sont pas les mêmes que dans la « vraie vie ». Les médias sportifs ne prétendent pas être objectifs et ceux qui les consomment le savent. À l’inverse, les médias grand public visent l’objectivité, mais de plus en plus de ceux qui les consomment en doutent. Sans en arriver au point où Céline Galipeau porterait un pull caquiste (c’est un exemple aléatoire, n’appelez pas l’ombudsman de Radio-Canada), un peu plus d’humilité par rapport à l’objectivité pourrait accroître la confiance du public envers les médias.
Si les médias sportifs sont capables du pire, ils peuvent aussi être vecteurs de changement. Le sport est fédérateur car il attire des gens de toutes allégeances politiques. Un partisan du Canadien, qu’il soit de droite ou de gauche, est aussi un téléspectateur de RDS ou de TVA Sports. Aux États-Unis, où la polarisation est encore plus grande qu’ici, les partisans de Trump regardent Fox News et les partisans de Biden regardent MSNBC. Ils ont accès à deux visions complètement différentes de la réalité. Mais les fans de basket des deux côtés ont peut-être vu sur une chaîne sportive le départ de l’entraîneur des Golden State Warriors, Steve Kerr, après la fusillade d’Uvalde. Cela aura sans doute touché certains qui pensent que pour résoudre le problème des fusillades, il suffirait de créer des écoles à une seule porte. D’accord, peut-être qu’il ne les aura pas convaincus. Mais certainement d’autres.
Le sport est un formidable lubrifiant social, à petite et à grande échelle. Je ne suis pas particulièrement réputé pour ma maîtrise de banalitésmais je suis très heureux de pouvoir m’appuyer sur la composition du troisième trio canadien pour faire évoluer une discussion qui ne menait nulle part. N’importe qui peut devenir un expert sportif assez rapidement, et c’est un monde où avoir des opinions fortes et scandaleuses n’est pas un problème. Sauf si vous êtes un voyou.
C’est pour cela que j’aime cette période de l’année où tous les espoirs sont permis (ils sont permis car l’équipe ne joue pas et ne peut donc pas perdre). Et j’espère, je vais en avoir besoin pour traverser le terrible mois d’août, où l’actualité du hockey prend des vacances et où je devrai ensuite me rabattre sur du pain à l’ail.