Une soixantaine de chercheurs du monde entier recommandent de redéfinir l’obésité mais aussi de clarifier son diagnostic. Selon eux, la seule prise en compte de l’IMC est source d’erreurs.
Comment diagnostiquer l’obésité ? Et surtout, quand l’obésité est-elle considérée comme une maladie ? Une commission composée d’une soixantaine de chercheurs internationaux, dont le rapport a été publié mercredi dans la prestigieuse revue médicale The Lancet Diabète et endocrinologie, s’est penché sur le sujet.
Pour ces experts, diagnostiquer l’obésité en se basant uniquement sur le calcul de l’indice de masse corporelle (IMC) n’est pas pertinent, voire source d’erreur. “L’IMC ne suffit pas à déterminer l’obésité”, explique à BFMTV.com Karine Clément, professeur au service de nutrition de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et l’une des trois membres françaises de cette commission.
“Cela peut classer à tort une personne comme ayant ou non un excès de graisse corporelle, conduire également à un sous-diagnostic de nombreuses personnes ayant un mauvais état de santé et à un surdiagnostic de nombreuses personnes en bonne santé”, écrivent-ils.
Pour rappel, l’IMC s’obtient en divisant le poids par la taille au carré. Or, selon les normes actuelles, une personne ayant un IMC compris entre 25 et 29,9 est considérée comme en surpoids ; à partir de 30 ans en situation d’obésité, indique l’Organisation mondiale de la santé qui estime qu’une personne sur huit dans le monde est obèse.
Cependant, certaines personnes qui présentent néanmoins un excès de masse grasse n’ont pas toujours un IMC supérieur à 30. D’autres, qui ont un niveau de masse musculaire élevé, peuvent avoir tendance à afficher un IMC supérieur à 30 malgré un taux de graisse dans la norme.
Obésité préclinique et obésité clinique
“Les joueurs de l’équipe de France de rugby ont un IMC supérieur à 30 et pourtant ils ne sont pas obèses”, souligne pour BFMTV.com François Pattou, chef du service de chirurgie générale et endocrinienne du CHU de Lille et membre de la commission.
« L’enjeu est d’aller plus loin que l’IMC », insiste Karine Clément, directrice d’une unité de recherche à Sorbonne Université et Inserm sur la physiopathologie de l’obésité et des troubles associés. .
Pour ce groupe de chercheurs, il est important de nuancer le diagnostic et de prendre en compte l’état de santé global du patient afin de distinguer l’obésité préclinique de l’obésité clinique.
Dans le premier cas, le patient présente en effet un excès d’adiposité mais sans symptômes, sans dysfonctionnement d’organe et sans limitation dans ses activités quotidiennes – mais avec un risque accru pour la santé. Dans le second, l’obésité entraîne effectivement une réduction de la capacité à réaliser les activités quotidiennes, des symptômes et des dysfonctionnements d’organes.
“L’obésité est encore définie comme un excès d’adiposité, ça ne change pas”, souligne pour BFMTV.com Jacques Delarue, professeur de nutrition à l’université de Brest et chef du service de nutrition du CHRU de Brest. « Ce que propose la commission, c’est de différencier l’obésité préclinique de l’obésité clinique. On peut faire un parallèle avec le diabète et le prédiabète.
“L’obésité reste une maladie”
Ce qui inquiète Anne-Sophie Joly, fondatrice du Collectif national des associations obèses (CNAO), ne l’entend pas de cet oeil. Elle juge ces experts déconnectés d’une « réalité de terrain » vécue par les patients obèses. «C’est contre-productif pour le message de santé publique», dénonce-t-elle.
Des inquiétudes que comprend Jacques Delarue, également président de la Société française de nutrition. “En France, l’obésité ne fait pas partie des pathologies classées comme affections de longue durée, c’est un véritable sujet pour les patients souffrant d’obésité.”
« L’obésité reste une maladie », assure François Pattou, également directeur du laboratoire de recherche translationnelle sur le diabète qui regroupe l’Université de Lille, l’Inserm, le CHU et l’Institut Pasteur de Lille.
“Mais on distingue deux stades : l’obésité préclinique qui ne nécessite pas les mêmes traitements que l’obésité clinique.”
L’obésité clinique est alors définie comme “une maladie chronique, systémique, liée à un excès d’adiposité dans de nombreux organes et tissus dont les fonctions sont altérées”, détaille l’Académie nationale de médecine en réaction à la publication de la commission. .
«On confond encore facteurs de risque et maladie», poursuit Karine Clément. “Oui, l’obésité peut être une maladie mais on peut certainement avoir un excès de masse grasse, qui est effectivement un facteur de risque, sans qu’on en soit au stade de la maladie.”
Développement du soutien
Pour les chercheurs, il est donc impératif d’adopter une nouvelle approche diagnostique de l’obésité. Concrètement, ils estiment qu’il ne faut plus se fier uniquement à l’IMC, qui ne reflète ni un éventuel excès de graisse ni l’état de santé général.
Les experts conseillent donc de prendre en compte d’autres mesures, comme le tour de taille, le rapport taille/hanche ou encore le rapport taille/taille. “On peut aussi utiliser une balance impédancemètre qui permet de mesurer la composition corporelle, la masse musculaire, la masse grasse”, complète Karine Clément, également présidente de l’Association française d’étude et de recherche sur l’obésité.
En clair, en ce qui concerne le tour de taille, il est jugé trop élevé s’il est supérieur ou égal à 80 cm pour une femme, 94 cm pour un homme, précise l’Assurance Maladie.
Si Jacques Delarue salue le travail des experts, il pointe néanmoins certaines limites. « Certaines méthodes de mesure de l’excès de graisse corporelle ne sont pas disponibles dans les cabinets de médecins généralistes. Comme pour les autres mesures, des seuils selon l’âge, le sexe et l’origine ethnique devraient encore être fixés.
Mais ce médecin reconnaît que ces nouvelles recommandations vont « nous pousser à changer nos pratiques ». Par ailleurs, l’objectif de la commission, estime Karine Clément, au-delà des questions de formation médicale, “est aussi de développer la sensibilisation et la prise en charge de la maladie”.
Selon la dernière étude de Santé publique France qui définit l’obésité par un IMC supérieur ou égal à 30, quelque 17 % des Français, hommes et femmes, seraient obèses. Avec la nouvelle définition proposée, selon François Pattou, également président de la Société française et francophone de chirurgie de l’obésité et des maladies métaboliques, “10 % de la population française est concernée par l’obésité clinique”. « On peut imaginer que moins de patients signifie de meilleurs soins. »