L’auteur est professeur de sciences politiques au Collège militaire royal et à l’Université Queen’s, à Kingston, en Ontario. Les recherches de ce spécialiste de la politique canadienne portent sur les langues officielles, le fédéralisme et la politique judiciaire.
La conférence de presse annonçant la démission du premier ministre Justin Trudeau venait à peine de se terminer que les hypothèses sur de potentiels candidats pour le remplacer allaient déjà bon train. Et c’est sans attendre que l’un des premiers intéressés a mis les pieds dans les gueules.
Députée d’une circonscription de la banlieue d’Ottawa, Chandra Arya n’a même pas attendu que le règlement officiel de la course à la direction soit dévoilé pour se manifester. Interrogé sur sa capacité à s’exprimer en français lors d’une entrevue avec la CBC, le député d’arrière-ban a répondu que non seulement il ne parlait pas français, mais qu’il pensait aussi que les Québécois comme les Canadiens anglophones ne s’intéressaient pas à la capacité d’un leader à s’exprimer ni dans l’un ni dans l’autre. langue officielle. Les électeurs veulent avant tout un gouvernement qui donne des résultats, a-t-il soutenu.
Était-ce une remarque déplacée ou le signe d’un changement dans les attentes des Canadiens à l’égard du bilinguisme ? Les indices pointent vers la première option.
Les sondages d’opinion réalisés auprès de la population sur les questions des langues officielles et du bilinguisme ne nous donnent pas toujours un portrait clair. D’une part, nous savons que l’attachement des Canadiens à leur langue maternelle (et pas seulement aux langues officielles) est très fort, plus fort que tout autre marqueur identitaire ou ethnique, et encore plus fort que leur attachement au pays. Cela est particulièrement vrai chez les francophones et les peuples autochtones.
En revanche, la valeur accordée au bilinguisme et aux langues officielles stagne depuis plusieurs années, et affiche même un léger déclin hors Québec depuis le début des années 2000. Il en va de même pour ce qui est de l’importance accordée à l’acquisition d’une langue seconde par les enfants, comme le démontre un vaste rapport de l’Environics Institute en 2019. La proportion de Canadiens hors Québec qui jugent important d’apprendre une autre langue est est passée de 80 % à 70 % entre 2001 et 2019. Au Québec, elle était de 95 % en 2019.
La déclaration de Chandra Arya, un immigrant indien arrivé au Canada en 2006 et qui siège aux Communes depuis 2015, alimente également une idée préconçue selon laquelle les allophones, c’est-à-dire les nouveaux Canadiens qui, comme lui, sont arrivés au pays avec une langue maternelle différente du français ou de l’anglais, ont peu à voir avec le bilinguisme. Cependant, les sondages démontrent au contraire que cette catégorie de répondants offre un soutien plus soutenu au bilinguisme que les Canadiens anglophones de souche. M. Arya ne représenterait donc pas le proverbial « canari dans la mine » d’une tendance majeure remettant en question le consensus sur le bilinguisme au sein de la population canadienne.
Pour l’instant, tout porte à croire que la lecture de la situation par ce candidat, qui attend toujours le lancement de la campagne officielle, était erronée. Bien qu’aucune règle écrite ne stipule que les candidats à la direction du CLP doivent démontrer une capacité à s’exprimer dans les deux langues officielles, ce consensus au sein de la famille libérale semble tenir, si l’on considère le nombre imposant de députés et de stratèges libéraux qui ont publiquement dénoncé Commentaires du député Arya la semaine dernière.
L’ancienne première ministre de la Colombie-Britannique Christy Clark, candidate présumée, s’est également retirée de la course à la direction, affirmant que son français n’était pas à la hauteur (ce qu’elle a affirmé avoir menti au sujet de son achat d’une carte de membre du Parti conservateur du Canada pour soutenir la course à la direction de Jean Charest en 2022). cela a probablement aussi quelque chose à voir avec sa décision…).
Qu’en est-il des autres candidats potentiels ? Même s’il apparaît à ce stade qu’aucun candidat francophone du Québec ne se présentera — une première depuis plus d’un siècle pour le parti (en 2003, Paul Martin, natif de l’Ontario, représentait depuis plusieurs années une circonscription de Montréal) —, le parti français Le langage ne devrait pas être trop durement abusé par les principaux candidats pendant la campagne.
Chrystia Freeland et Karina Gould ont démontré lors de leur mandat au Conseil des ministres qu’elles étaient capables de s’exprimer dans un français intelligible, quoique peu éloquent. Mark Carney semblait également parler un français correct lorsqu’il était gouverneur de la Banque du Canada. Un débat dans cette langue est prévu pendant la course, comme le veut la tradition, ce qui permettra de mieux comparer les capacités des candidats à présenter et défendre leurs idées dans la langue de Champlain.
Nous soupçonnons que, d’une manière ou d’une autre, Chandra Arya ne sera pas là.