L’ancien conseiller politique, Pascal Mailhot, plonge au cœur des questions actuelles avec une connaissance intime des coulisses du pouvoir. Après avoir occupé des postes dans le cabinet du Premier ministre du Québec lors des mandats de Lucien Bouchard, Bernard Landry et François Legault, il est maintenant vice-président de l’agence de relations publiques TACT. Il co-écrite Pour conquérir le pouvoir: comment un troisième chemin politique s’est imposé au QuébecPublié par Éditions du Boréal.
À moins que vous n’ayez passé les dernières semaines en camping hivernal sans Wi-Fi, tous ont entendu parler du désir de Donald Trump d’annexer le Canada. “Une façon pour lui de semer la confusion, de secouer les gens, de créer le chaos en sachant que cela n’arrivera jamais”, a réagi Dominic LeBlanc, ministre des Finances du Canada.
Nous pouvons choisir de balayer ces déclarations à l’arrière de la main et de déplacer sur ce que le gouvernement Trudeau a essayé de faire, avant de réaliser que le président était peut-être plus sérieux que certaines personnes le croient.
Pour avoir une idée plus claire, vous devez comprendre ce qui est caché derrière cette idée apparemment folle. Parce que si la classe politique canadienne rejette immédiatement et à l’unanimité la proposition du président américain, ce dernier fait néanmoins partie d’une longue histoire de tentative d’union entre les deux pays. Certains par force, d’autres par persuasion.
De là, pour réussir est une autre affaire.
Le premier malentendu à se dissiper, au cas où le président américain nous lira (nous ne sommes jamais trop prudents …): le Canada n’est pas un État unitaire qui pourrait être absorbé aux États-Unis. Il s’agit d’une fédération de 10 provinces autonomes, chacune avec ses propres institutions, son système juridique et ses compétences exclusives en matière d’éducation, de santé et de ressources naturelles.
En réalité, une annexion signifierait donc l’ajout de 10 nouveaux États à l’Union américaine, et non une seule entité territoriale. Cette réalité constitutionnelle complique considérablement le scénario d’une fusion.
Rêves syndicaux
Les premières tentatives d’annexe sont militaires. En 1775, au moment des 13 colonies, les Américains ont envahi le Québec, espérant rallier les Canadiens français à leur cause. Ils capturent Montréal, mais échouent devant le Québec, lorsque les remparts ont été utilisés pour quelque chose. Rebelote pendant la guerre de 1812: ils licencient York (l’actuel Toronto) en 1813, mais les Britanniques et leurs alliés ont riposté en brûlant Washington l’année suivante. Dessiner.
C’est dans le XIXe Un siècle que le projet a pris une nouvelle dimension, avec la doctrine développée par le président James Monroe (1817-1825) et sa vision d’une bannière United America Under the Star. Paradoxalement, la peur d’être annexée par la force accélère les efforts pour créer une union canadienne. Les États-Unis ont ensuite progressivement abandonné l’idée de nous avaler.
Pendant ce temps, après les échecs des rébellions des Patriots (1837-1838), certains Canadiens de Bas-Canada, frustrés par l’acte d’union de 1840, envisagent une union avec les États-Unis. En 1849, les marchands de Montréal en anglais, mécontent des politiques britanniques, ont signé un manifeste en faveur de l’annexion. Même Honoré Beaugrand, maire de Montréal dans le XIXe Century, considère cette option comme une opportunité de moderniser le Québec et de l’émanciper du conservatisme catholique.
Dans l’Ouest canadien, l’annexionnisme a également un écho avec les immigrants américains basés au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta. Pendant quelques années, un parti de l’Union nord-américaine a défendu cette idée.
Au Québec, fête 51
Au Québec, la tentative la plus célèbre de promouvoir l’idée de rejoindre les États-Unis est celle du parti 51, actif vers la fin des années 1980. Ni à gauche ni à droite, les partisans de cette option considéraient le voisin comme un modèle de succès et considéraient que le Québec avait plus en commun avec ses voisins du sud qu’avec le reste du Canada. Ils ont salué les avantages économiques, la stabilité monétaire et la protection militaire que les Américains pourraient offrir, sans parler de la fin des querelles constitutionnelles sans fin avec Ottawa. Une sorte de troisième voie, entre le souverainme et le fédéralisme, inspiré par le rêve américain!
Avec ce programme iconoclastique, pour le moins, le parti n’obtient que 0,12% des voix lors des élections de 1989, avant d’être officiellement dissous. Il connaîtra une brève renaissance en 2016 sous l’impulsion de l’homme d’affaires Beauceron Hans Mercier, qui récoltera toujours 700 voix dans son district de Beauce-Sud en 2018, puis mettra définitivement la clé sous la porte en 2023.
Que reste de tout ce débat aujourd’hui? L’intégration économique entre le Canada et les États-Unis a atteint des niveaux sans précédent grâce aux accords de libre-échange. Jusqu’à la puissance de Donald Trump, les relations entre les deux pays étaient en bonne forme, marquées par une coopération étroite dans presque tous les domaines, malgré quelques frictions commerciales entre les deux alliés, comme sur la botte de bois.
Les tensions commerciales et diplomatiques qui éclatent aujourd’hui rappellent la fragilité de cette alliance.
Quant à l’annexionnisme, on peut penser que cette doctrine est morte depuis longtemps … Une enquête de l’Institut Angus Reid a montré à la mi-janvier que 90% des Canadiens restent fermement opposés à l’idée de changer leur drapeau. Mais parmi les jeunes, l’option semble gagner en popularité d’une manière surprenante. Selon l’IPSOS Survey House, 43% des 18 à 34 ans disent qu’ils sont favorables à l’annexion (probablement séduits par la perspective d’avoir enfin accès à tout le contenu américain Netflix sans VPN).
Les paroles de Trump, aussi ésotériques, auraient-elles pu semer une graine qui germera dans l’esprit d’une nouvelle génération moins attachée à la souveraineté canadienne? Avant de conclure cela, attendons de voir les prochaines enquêtes: une enquête tournée par Léger à la mi-décembre n’a pas montré le même enthousiasme des jeunes pour cette idée (16%).
Quoi qu’il en soit, les obstacles à surmonter seraient énormes. Comment concilier la monarchie constitutionnelle avec le système républicain américain? Que deviendrait notre système de santé publique face au modèle privé américain? Comment gérer les différences juridiques entre common law Et le droit civil, ou même préserver le bilinguisme officiel?
De plus, l’expérience de la Louisiane, où seules quelques expressions folkloriques et des noms de rue en français ne survivent que pour faire trembler les Québécois.
Le fait demeure que les menaces de Donald Trump ont une certaine rationalité, en particulier en termes de sécurité nationale. Par exemple, un risque de conflit frontalier dans l’Arctique est très réel, selon ce qui a écrit dans La presse Professeur Stéphane Roussel. Dans un monde marqué par la montée des tensions avec la Chine et la résurgence de la Russie, les paroles du président américain reflètent un désir de réalignement géostratégique de la part des États-Unis. Une sorte de doctrine Monroe 2.0, où l’impérialisme américain reprend ses droits sur le continent nord-américain.
Nos gouvernements devront saisir toute la portée de ce réalignement de la politique étrangère américaine et s’adapter à ce nouvel accord géopolitique. Et la réponse à cette crise va au-delà des mesures de représailles, commandant une vision plus mondiale.
Plus que jamais, le Canada doit diversifier ses partenariats économiques et diplomatiques et renforcer ses liens avec l’Europe, l’Asie-Pacifique et l’Amérique latine. Parce que si l’annexion n’est sans aucun doute pas pour demain, le Canada pourrait voir son indépendance s’éroder progressivement, glisser vers une forme de protectorat américain: tous les attributs de la souveraineté apparemment, mais une autonomie de plus en plus théorique en fait.