
UNMong Les nombreux signes tangibles de l’effondrement actuel de notre civilisation, la normalisation du port de sacs à dos en milieu urbain n’est pas la plus publiée. Presque plus insidieux que la montée du populisme ou l’intégration de l’expression “passer une bonne journée” dans le langage quotidien, il en dit néanmoins long sur les excès de notre époque.
Prenons les choses en ordre. Établi dès le 11ème siècle par les peuples autochtones de l’Arctique, qui favorisait les grands paniers en osier transportés sur les épaules, le concept du sac à dos a continuellement acquis une sophistication au cours des siècles. Les premiers modèles avec des sangles en cuir sont apparus dans le 17ème siècle. Trois cents ans plus tard, l’inventeur norvégien Ole F. Bergan, alpiniste et explorateur pendant son temps libre, a breveté un modèle de toile. Depuis lors, le sac à dos a continué d’évoluer, frénétiquement ces dernières années.
Aujourd’hui, il se présente dans des versions durs qui protègent solidement les ordinateurs portables. Certains modèles se déroulent comme des sacs en papier Kraft, assurant une étanchéité parfaite. D’autres, équipés d’une multitude de compartiments strictement définis, promettent de maintenir le contenu d’un coffre sans dépasser la taille de la cabine. D’autres encore, peut-être les plus terrifiants, sont équipés de roues, ce qui leur permet de se transformer en substituts de valise.
Le confort prévaut sur la beauté
Dans un état de laideur chronique, le sac à dos prospère sur les tristes contingences de notre temps. Plus les ordinateurs portables deviennent généralisés dans un monde de travail exigeant la flexibilité et la mobilité, plus il devient indispensable. Plus nos vies s’accélèrent rapidement, au point où l’idée d’attendre quelques minutes pour récupérer notre valise du carrousel des bagages nous déchaîne à l’os, plus elle devient inévitable. Plus le confort prévaut sur la beauté, plus il devient inévitable.
Pendant longtemps, le sac à dos était un ami. En libérant les mains, il a facilité les aventures sportives et les ascensions de montagne. Pendant l’enfance, c’est toujours un bon compagnon de jeu, devenant facilement le poste de but d’un match de football improvisé. Mais, à l’âge adulte, à quoi sert-il? Avoir des mains libres pour qu’ils restent enchaînés sur un smartphone ou le guidon d’un scooter électrique accélérant sur la route du désespoir. “Passez une bonne journée”, de toute façon!