Auteur de plusieurs ouvrages, Taras Grescoe est un journaliste montréalais spécialisé en urbanisme et en transport urbain qui donne des conférences sur la mobilité durable depuis une douzaine d’années. Dans son bulletin Voyageur debout dans le transportil nous raconte ce qu’il observe de meilleur et de pire en matière de transports urbains ici et lors de ses voyages à travers le monde.
J’ai eu le plaisir de passer trois jours à Québec en avril. Il y a quelques années, cet endroit était parmi ceux qui m’ont fait tomber amoureux de la province de Québec. J’étais alors en deuil d’une rupture avec une femme originaire de France, où j’ai passé quatre ans dans les années 1990. Quelques séjours dans la « capitale nationale du Québec »1 J’ai pensé avoir découvert un Saint-Malo-dans-la-Neige, une ville vieille de 400 ans qui aurait été transportée par avion, avec ses fortifications et ses pavés intacts, de la France provinciale aux Amériques. Lors de mes deux premières visites dans la ville, j’ai séjourné à la Maison Demers, rue Sainte-Ursule, un hôtel conservé dans son style classique, avec des escaliers raides et grinçants, une conciergerie et un petit-déjeuner continental composé de croissants et de café ; exactement comme le genre d’endroits où je séjournais en France. (Oui, j’ai vérifié : la Maison Demers existe toujours.)
1. C’est ce que disent les panneaux sur l’autoroute, ce qui est drôle car même si le Québec se considère comme un pays, il n’a pas encore rejoint les rangs des États-nations du monde.
Le centre historique de Québec est en réalité assez petit, entouré de quartiers et d’une banlieue tentaculaire parsemée de centres commerciaux. Mais la vieille ville est magnifiquement préservée, et j’éprouve encore d’étranges moments de désorientation et de dépaysement lorsque j’y suis : le sentiment d’être sur un autre continent, voire dans un autre temps. Jusqu’à ce que, bien sûr, l’Amérique du Nord réentre dans le cadre, sous la forme d’une sirène stridente de voiture de police ou d’un autobus scolaire jaune.
Une autre différence entre Québec et la France est le système de transport en commun.
Plus de 20 villes françaises, de Montpellier à Lille, disposent désormais de leur propre réseau de métro léger (ou tramway). La population de la ville de Québec atteint 550 000 habitants et la zone métropolitaine en compte 840 000, ce qui en fait la septième plus grande zone métropolitaine du Canada. Une grande partie de la région est dense et compacte, surtout si on la compare à des villes nord-américaines comme Calgary, Phoenix ou Dallas. Pourtant, son réseau de transport repose uniquement sur les bus, dont aucun n’est considéré comme un véritable service de bus à haut niveau de service (BRT).
Arriver à Québec, très souvent en train, me donne toujours l’espoir que les choses ont changé ou sont sur le point de changer. Cette fois, je suis arrivée par Via Rail – hélas, dans une voiture économique LRC des années 1980. (J’ai eu l’occasion de voyager dans un nouveau train Siemens sur le chemin du retour vers Montréal, une expérience que je décris dans ce billet.) C’est merveilleux que Québec ait une vraie gare centrale, avec des tourelles vert-de-gris à l’extérieur et des murs de briques à l’intérieur. La gare du Palais a été construite en 1915, puis fermée en 1976 lorsqu’elle a été menacée de démolition (une autoroute a été construite et d’atroces bâtiments gouvernementaux brutalistes ont été érigés derrière la gare; il y a aussi une gare routière interurbaine d’aspect sinistre juste à côté). Mais elle a survécu et a rouvert en 1985, et c’est une façon digne d’arriver dans une ville historique.
Dans le train, j’ai vérifié si je pouvais utiliser un système de vélopartage pour me déplacer. Bonne nouvelle : la ville de Québec possède un équivalent de BIXI, le système de vélopartage de Montréal, appelé àVélo. La mauvaise nouvelle est arrivée après avoir téléchargé l’application. Non seulement le système est limité, avec peu de stations, mais il n’était pas opérationnel lorsque j’y étais, c’est-à-dire avant le 1euh Mai. (Depuis l’automne 2023, BIXI fonctionne à l’année à Montréal. Apparemment, àVélo a connu un franc succès; le service a été élargi en 2024.) Cette fois-ci, j’allais devoir compter sur les transports en commun ou sur mes pieds.
Il existe à Québec deux formes de transport en commun dignes d’une carte postale qui pourraient donner aux étrangers et aux touristes une fausse idée de la richesse de la ville en matière de transport. Le premier est le funiculaire, qui vous emmène de la Basse-Ville à la Terrasse Dufferin, qui longe le Château Frontenac, l’hôtel majestueux et pièce maîtresse de la Haute-Ville. Le funiculaire émerge de la maison Louis-Jolliet, construite en 1683. (Il fut l’un des « découvreurs » du Mississippi, selon les brochures du magasin. J’imagine que de nombreux autochtones contesteraient cette affirmation.) Le premier funiculaire était à vapeur et coûtait trois cents en 1879. Aujourd’hui, il coûte cinq dollars, en argent comptant seulement. C’est un court trajet, à un angle de 45 degrés, qui s’élève à 200 pieds. Il y a eu des incendies et des accidents au cours de ses 145 ans d’histoire. Le funiculaire actuel a été fabriqué par Otis et Poma, cette dernière étant une entreprise française connue pour ses remontées mécaniques.
Le funiculaire offre de belles vues sur le fleuve Saint-Laurent; dans la vidéo que j’ai réalisée, on peut voir les traversiers qui vont du Vieux-Port à Lévis, sur la rive sud. Il s’agit de deux navires, exploités par la Société des traversiers du Québec. Ce sont de braves petites embarcations, capables de se frayer un chemin à travers les glaces en plein hiver, et qui transportent autant des piétons que des automobiles.
Mais à part les traversiers et le funiculaire, le transport en commun à Québec, c’est l’autobus. Le système de paiement par carte est la carte Opus, identique à celle utilisée à Montréal. Dans certains endroits, comme en Ontario, cela me permettrait d’utiliser la carte dans mon portefeuille. Québec n’en est pas encore là; on ne peut pas non plus payer sans contact, en présentant une carte de crédit devant un lecteur, ce qui est maintenant le cas à Vancouver, à New York et dans plusieurs autres villes. J’ai dû me rendre dans un dépanneur et acheter une carte Occasionelle en carton pour deux trajets, qui coûte 6,80 $, soit 3,40 $ par trajet. (C’est plus cher si on ose utiliser des pièces de monnaie : 3,75 $.)
Le RTC (Réseau de Transport de la Capitale) offre trois niveaux de service de bus : les bus réguliers, les bus express, qui desservent les banlieues, les écoles et les principaux lieux de travail, et le système Metrobus (pensez au Metrobus d’Istanbul, au Metrobus de Mexico, etc.). Les Metrobus sont des bus verts articulés qui circulent à des fréquences plus élevées que les bus réguliers. Ils circulent sur des voies réservées à certains endroits. Mais ce ne sont certainement pas de véritables bus de transport rapide, et avec des intervalles allant jusqu’à 15 minutes, ils ressemblent davantage à un système de bus fréquent qu’à un véritable BRT.
Je n’ai rien à redire sur mes déplacements à Québec. Les autobus étaient en bon état, propres et arrivaient à l’heure. J’ai utilisé Transit, l’application de planification de trajet montréalaise dont je parlais dans cet article, et j’ai été un peu surprise de constater qu’elle n’était pas très précise à Québec. Cela suggère que le système de transpondeur, censé indiquer où se trouvent les véhicules, ne fonctionne pas toujours bien. La seule fois où Transit a prédit avec précision l’arrivée d’un autobus, c’était lorsqu’un autre utilisateur de l’application était dans l’autobus et utilisait la fonction « Go ». Ce n’est pas toujours le cas.
En attendant l’autobus sur le boulevard Charest, j’ai discuté avec un jeune homme à l’arrêt et je lui ai posé des questions sur le projet de tramway. « Tu pourras peut-être le prendre la prochaine fois, m’a-t-il répondu en soufflant un nuage de fumée de cigarette. Mais seulement si la prochaine fois c’est en 2035. »
Il faut mentionner un autre système de transport en commun : les incroyables escaliers publics de la ville, dont beaucoup sont en bois et en fer forgé. La différence d’altitude entre la ville « basse », sur la rivière, et la ville « haute », au sommet de falaises spectaculaires, rend ces escaliers indispensables. Pittsburgh partage cette caractéristique. J’ai été impressionné par le nombre de sportifs vêtus de lycra qui montent et descendent les escaliers à toute heure de la journée.
On parle depuis des années d’un tramway à Québec. Un tramway dans cette ville ne devrait pas poser de problème. C’est une capitale prestigieuse de taille moyenne. Ottawa, l’autre capitale nationale du Canada, possède un réseau de métro léger (même si cela aurait pu être problématique). Québec a la densité nécessaire pour un tramway, et la demande est là.
Un tracé longeant la rive nord du Saint-Laurent a été établi. La ville rêve d’un « troisième lien » de l’autre côté du fleuve, mais ce n’est pas le but du tramway, car il ne traverse aucun cours d’eau majeur. Pourtant, son prix a été fixé à plus de 8 milliards de dollars. Pas étonnant qu’il n’y ait pas eu d’appel d’offres pour le projet. En novembre 2023, le gouvernement provincial, formé par la Coalition Avenir Québec (CAQ), pro-entreprises et pro-autoroutes, a annoncé que le projet était bloqué.
Ce qui est incroyable, c’est que 527 millions de dollars (385 millions de dollars américains) ont déjà été dépensés pour le projet de tramway, sans qu’un seul mètre de voie n’ait été posé. À elle seule, la Ville de Québec a dépensé 371 millions de dollars pour l’acquisition de terrains et d’autres travaux préparatoires; le reste semble avoir servi à payer des études. (Une grande tradition dans les transports canadiens : commander des études pour des projets ferroviaires qui ne seront jamais réalisés.) J’en dirai davantage sur ce sujet dans de futurs articles, mais il suffit de souligner qu’à part le REM à Montréal, dont j’ai parlé ici, la planification et la mise en œuvre des transports sous la CAQ et le premier ministre François Legault ont été une farce, une farce sinistre.
En mai 2024, le gouvernement du Québec a annoncé la création d’une nouvelle instance de coordination des grands projets d’infrastructures de transport. Mobilité Infra Québec (MIQ) comptera 50 employés, à condition bien sûr qu’il y ait autant d’experts en transport en commun dans la province. Une meilleure coordination est certainement une bonne idée. Les nouveaux projets de transport en commun, en particulier, sont mal intégrés aux réseaux existants. Je pense au REM de Montréal, financé par l’immense fonds de pension public du Québec, mais sans lien suffisant avec les services des sociétés de transport en commun existantes de la région métropolitaine.
Depuis des années, la planification des transports au Québec est de plus en plus aléatoire, avec des projets comme le tramway de Québec et le REM de l’Est (Montréal) étudiés, planifiés puis abandonnés au gré des vents politiques. Je ne suis pas sûr que le MIQ réglera le problème fondamental, qui est le manque d’engagement réel de la CAQ envers le transport collectif. Et il ne fera rien pour améliorer les véritables fondements du transport collectif : la fréquence, la couverture, la fiabilité et la durée du service. On verra si cet organisme ira au-delà des belles paroles.
Les Québécois sont clairement frustrés par la situation. Alors que je prenais mon petit déjeuner au Buffet de l’antiquaire (parmi les meilleurs déjeuners du Québec, mais l’assiette La Cochonne pourrait vous tuer !), j’ai pris Le Journal de QuébecLe tabloïd local. L’article principal était un portrait de plusieurs pages du réseau de transport coréen. « De quoi nous rendre jaloux. Alors que rien ne se passe au Québec, notre reporter s’est rendu à Séoul, où se développe le transport en commun du futur. »
Des trains rapides ! Des taxis volants ! Des dizaines de lignes de métro ! Et pourtant, dans la capitale d’un des pays les plus riches du monde, on demande aux gens de se contenter des bus. Ah oui, et d’un bon vieux funiculaire…