Dans le petit bar à saké Tachinomi Kuri de Tokyo, les hommes d’affaires font la queue patiemment. Après le travail, il n’est pas rare de voir des cols blancs s’arrêter boire un verre en rentrant chez eux. Le saké, dont le taux d’alcool dépasse rarement les 16%, se boit généralement debout et rapidement, le verre coûtant environ 500 yens (environ 3 €). Le flux constant de clients et l’impressionnante gamme de spiritueux présentés dans de petits tonneaux aux étiquettes colorées (samouraïs, paysages, personnages de manga) pourraient donner l’impression que le saké est toujours le roi des bars japonais.
Mais ce n’est pas le cas. Selon l’Agence nationale des impôts japonaise, la consommation annuelle d’alcool par adulte au Japon est passée de 100 litres en 1995 à 75 litres en 2020. Le vin de riz a été éclipsé par des boissons plus tendance comme la bière et les highballs (cocktails mêlant soda et spiritueux). Le déclin du saké national est tel qu’en 2023, le gouvernement a financé une campagne pour stimuler les ventes auprès des jeunes.
Le renouveau du saké est en grande partie dû à l’ingéniosité de brasseurs comme Noriyoshi Nagai, gérant de la brasserie Nagai Sake, située au pied des montagnes brumeuses de la préfecture de Gunma, à deux heures au nord de Tokyo. Il nous a d’abord emmenés dans une forêt de pins surplombant l’entreprise. Près d’une rivière, il a sorti d’un seau à glace une bouteille aux allures de champagne. Cette présentation a surtout servi à illustrer l’évolution de sa démarche, car ses spiritueux n’ont plus grand-chose en commun avec ceux de son arrière-grand-père, un samouraï qui a fait commerce de son katana pour fonder la brasserie en 1886.
Le défilé du saké pétillant
La bouteille imite le style du champagne : verre vert, muselet serré autour du col et bouchon qui éclate avec un bruit caractéristique à l’ouverture. A la dégustation, c’est un saké pétillant, un produit élégant aux fines bulles, au goût plus doux que le vin mousseux français et aux notes de litchi. « J’ai fait plus de 700 tentatives infructueuses pour arriver à ce résultat, confesse Nagai. Je me suis inspiré de la méthode champenoise après avoir visité des vignobles français. J’ai été le premier à lancer ce produit à double fermentation. Je ne voulais pas seulement injecter du gaz dans le saké, mais aussi capturer la subtilité du champagne. » Sa détermination a payé : après des débuts difficiles en 2008, son saké pétillant représente aujourd’hui 20 % de ses ventes.


Le saké pétillant est un moyen de lutter contre la baisse des ventes. Une autre approche consiste à mettre en avant le terroir local. Dans la salle de dégustation de sa brasserie, les rideaux métalliques des fenêtres s’ouvrent sur un paysage grandiose structuré par un quadrillage de rizières. « Beaucoup de brasseries sont situées en ville et utilisent du riz acheté dans des régions éloignées, explique Nagai. La notion de terroir n’a pas beaucoup de sens dans ce secteur. Mais notre force réside dans la nature qui nous entoure. Nous avons créé des sakés avec du riz yukihotaka, cultivé à proximité de la brasserie. L’eau, qui compose 80 % de notre saké, provient de sources souterraines particulièrement douces qui coulent sous nos pieds. »
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