Il est 10h30 dans la ville portuaire de Yaizu, au sud-ouest de Tokyo. Une quinzaine d’hommes et de femmes attendent patiemment devant un étal l’arrivée d’une camionnette de la criée. Un quadragénaire massif et radieux apparaît, suscitant des cris de joie. Naoki Maeda n’est pas une autorité locale mais un poissonnier, et le petit groupe qui l’accueille est composé de cuisiniers venus spécialement de Kyoto (à quatre heures de route) pour apprendre à tirer le meilleur parti des produits de la mer.
« La technique de Naoki Maeda est unique », explique le chef local Yasuhiko Inoue, qui vient d’acheter un excellent lot d’espadon et de daurade. « Les gens viennent de tout le Japon, et même de l’étranger, pour consulter celui que l’on surnomme le “poissonnier magique”, car il est capable de tirer le meilleur de chaque poisson. »
La relation de Maeda avec les créatures marines est très particulière. Avant de s’entretenir avec les chefs de Kyoto, il s’est dirigé vers un bassin où s’agitait un poisson-perroquet. À l’approche de son « maître », le poisson a sorti la tête de l’eau et s’est laissé caresser. « Nous nous connaissons depuis neuf ans, et nous sommes devenus si proches qu’il se comporte parfois comme un chiot », plaisante le colosse, avant de confier : « Je suis autodidacte dans mon domaine. Ikejime “Je n’ai jamais pratiqué. Personne ne m’a appris à travailler avec des poissons. Après un lycée spécialisé, je me suis principalement appuyé sur mes propres expériences et observations.”
L’artisan a passé trois bonnes heures à expliquer aux chefs à quelle température conserver le poisson, quels glaçons utiliser, pourquoi et comment saler les filets. Mais la partie la plus spectaculaire de cette conférence improvisée a été une démonstration de Ikejimeune technique d’abattage ancestrale japonaise qu’il continue de perfectionner.
Perforer le cerveau
Maeda a saisi deux chinchards vivants dans un bassin. Il a pratiqué une entaille grossière dans la gorge du premier et une profonde entaille à la base de la tête du second, qui a perforé le cerveau. La méthode est brutale mais efficace. Le premier poisson a convulsé longtemps, les nageoires relevées et le corps tendu, tandis que le second est mort instantanément et est resté immobile. Après 10 minutes d’attente, le poissonnier a invité les chefs à toucher les chinchards. « Voyez comment le stress a affecté la chair du premier, qui est devenue extrêmement rigide, alors que l’autre est restée souple, a-t-il expliqué. Cela aura évidemment un impact sur la texture à la dégustation. »
A cette technique, Maeda a ajouté deux recommandations. D’abord, vider le poisson de son sang, tout simplement parce que si on le laisse pourrir dans l’animal, il va pourrir et puer. Ensuite, détruire son système nerveux. Pour cela, l’artisan a réalisé un autre geste technique impressionnant. Il a enfoncé un fil de métal dans le poisson, en suivant sa colonne vertébrale. « De cette façon, l’animal se dégrade très lentement, explique l’expert. On peut le conserver plusieurs jours ou plusieurs semaines, selon l’espèce, la taille et l’état au moment où on le capture. Au contraire, la chair d’un poisson tué n’importe comment, asphyxié dans des filets, devient rigide puis se transforme en bouillie. »
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