« Alain Delon souffrait de collectivite, ou de collectivite sévère ! » Ce diagnostic a été posé par Elizabeth Markevitch, qui l’a rencontré à la fin des années 1980, alors que l’acteur souhaitait se séparer de ses sculptures en bronze de Rembrandt Bugatti (1885-1916). Elle travaillait alors pour Sotheby’s. « Cela lui faisait mal de ne pas voir ses sculptures en bronze de Rembrandt Bugatti (1885-1916) “Il n’avait pas envie de les vendre, mais il venait de rencontrer celle qui allait devenir la mère de ses derniers enfants et il voulait faire de la place. Sa propriété était complètement envahie d’œuvres d’art.” Et pour cause, il avait accumulé une quarantaine de bronzes.
Les Bugatti étaient l’une de ses passions, tout comme les sculptures animalières en général. Il avait réuni ce qui était sans doute la plus belle collection d’un artiste peu connu, Georges-Lucien Guyot (1885-1973). Souvenez-vous de l’époque où il photographiait Le guépard (Le léopard) ? Lorsqu’on lui a demandé si Visconti avait influencé la formation de son goût, il l’a nié : « Visconti n’était pas ce qu’on appelle un collectionneur. Il était amoureux de Bronzino, il avait quelques œuvres, quelques tableaux, mais pas de collection », a-t-il déclaré. Le monde en 2007. Markevitch estime cependant que ses séjours en Italie ont joué un rôle majeur dans la formation de son œil : « Entre deux tournages, il hantait les musées. Sa collection de dessins italiens était fantastique. »
Comme l’était, d’ailleurs, la collection de dessins de Delon dans son ensemble. Les Parisiens ont pu en avoir un aperçu en 2010, au Salon du dessin qui s’est tenu au Palais de la Bourse. On y exposait Pontormo et Véronèse, mais aussi des œuvres de Rubens, Rembrandt, Géricault et Degas. Comme il l’expliquait à Le monde« Le dessin, c’est la première ébauche de l’artiste, sa première pensée. » Dans ce contexte, il confesse un amour total pour Millet mais a aussi acquis l’un des tout derniers dessins de Dürer à être passé en vente publique, représentant un scarabée. « Sous le nez de Malle », dit-il avec son sourire ravageur. « Pas Louis Malle, mais son frère, le banquier. C’était un peu comme dans [the book and movie] L’homme pressé:La différence entre les professionnels et moi, c’est qu’ils ont une limite ; au-delà d’une certaine enchère, ils s’arrêtent. Moi non.”
A une époque, tout son argent était consacré à l’art ancien. « Certains achètent des voitures, d’autres vont chez les putes, mais moi je préfère les tableaux. » S’il les achetait au feeling, il n’a jamais cessé d’en apprendre davantage sur eux : « Quand il tombait amoureux d’un artiste ou d’une époque, il plongeait dedans, lisait tout et savait en parler », confirme Markevitch.
Il aimait aussi la peinture, avec une préférence pour le XIXeème siècle, et une passion absolue pour Géricault – « j’ai de lui un tableau unique, peint sans doute à la morgue, sur la planche de bois qu’on a arrachée, les torses d’un homme et d’une femme unis dans la mort » – ainsi que pour Delacroix, Millet et Corot. Il fait également des incursions dans le XXème siècle, avec les Fauves, Braque notamment, dont il possédait une des deux vues du canal Saint-Martin. Il a aussi acquis un très bel ensemble des années 1950, du groupe Cobra aux abstraits de l’Ecole de Paris comme de Staël, Manessier, Riopelle ou Degottex. Il a vendu ce dernier groupe aux enchères en 2007 car, disait-il, il détestait les ventes posthumes.