LLa France bleu-blanc-vert, c’est maintenant. Lors des élections municipales de 2020, le parti écologiste, actif aux niveaux national et municipal, a créé la surprise en raflant, seul ou en coalition, une dizaine de grandes villes, dont Lyon, Strasbourg et Bordeaux — pendant que le parti du président Macron mordait la poussière. Comme si le Parti vert du Québec remportait les mairies de Laval, Trois-Rivières et Drummondville.
Dans un pays où l’urbanisme privilégie déjà les transports en commun et le logement social, la nouvelle vague de maires veut rendre les villes plus vertes. Au menu : nourriture locale, bio ou végétarienne dans les cantines scolaires, réduction de l’usage de la voiture, aménagements pour les cyclistes, éclairage nocturne réduit, quelle aubaine ! Vert veut dire gauche, et des mesures comme l’encadrement des loyers et le logement social font aussi partie des propositions.
Ces politiques vertes commencent à attirer l’attention au Québec, où près de 150 municipalités et régions sont jumelées avec leurs homologues françaises (Bordeaux-Québec, Lyon-Montréal, Tours–Trois-Rivières, Montpellier-Sherbrooke). « Nous avons les mêmes enjeux, les mêmes oppositions, le même enthousiasme, les mêmes défis », affirme François Limoges, maire de l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie à Montréal, qui coopère depuis plusieurs années avec Strasbourg sur le thème de la « ville résiliente » afin de susciter l’adhésion des citoyens à la transition écologique.
L’écologie politique, le mouvement que revendiquent ces élus verts, consiste justement à « anticiper au lieu de subir », explique Léonore Moncond’huy, maire de Poitiers, une ville de 90 000 habitants dans l’ouest de la France. Comme la plupart des maires écologistes, elle suit les traces du maire de Grenoble, Éric Piolle, qui a fait la première percée dans une grande ville en 2014. La géographie l’a sans doute aidé à remporter la mairie de cette ville des Alpes. « Un réchauffement de 1°C par siècle, personne ne le voit, dit-il. Mais depuis les montagnes qui nous entourent, on voit le dôme de pollution. Cela fait prendre conscience à tout le monde. »
Les Verts y ont testé de nombreuses politiques. « Quand on a proposé la végétalisation des cours d’école en 2019, on s’est fait engueuler, raconte Éric Piolle. Vous allez tout détruire, les enfants vont salir les classes et leurs vêtements. » Finalement, même les mairies de droite veulent des cours d’école vertes !
À Strasbourg, au bord du Rhin, la maire Jeanne Barseghian a décrété l’état d’urgence climatique dès sa prise de fonction en juillet 2020. Elle investit 500 millions d’euros dans un vaste plan de mobilité : nouvelle ligne de tramway, réseau express cyclable, transport gratuit pour les mineurs. Autre projet phare : chauffer 7 500 logements avec la chaleur récupérée dans une aciérie située de l’autre côté du Rhin, en Allemagne, et transportée par canalisation sous le fleuve !
François Limoges a été séduit par le nouvel écoquartier d’Ostwald, dans la banlieue de Strasbourg, pensé pour réduire les atteintes à l’environnement : 1 500 logements orientés pour profiter de l’ensoleillement, garderie, école maternelle, école primaire, salle multi-activités, commerces de proximité, 30% d’espaces verts. « Cela nous inspire pour le futur écoquartier du secteur de Bellechasse, à Rosemont. »
A Paris, dans le 12èmeet Dans l’arrondissement, la voiture occupe la moitié de l’espace public, alors qu’elle ne représente que 10 % des déplacements (un quart de la population possède une voiture). D’où l’initiative de la maire Emmanuelle Pierre-Marie : réduire de 7 000 à 2 000 voitures par jour le trafic sur la rue de Charenton, un axe de transport en commun de 3,7 km très bruyant qui traverse tout l’arrondissement, et la transformer en rue cyclable. Sur un tronçon de deux kilomètres, les vélos circulent librement et ont la priorité sur les voitures, une première en Île-de-France. « Sur notre territoire, les vélos dépassent désormais les voitures avec 12 % des déplacements », précise la maire, qui a renoncé dès le premier jour à son véhicule de fonction et à son chauffeur. « Nous avançons quartier par quartier. »
Les élus municipaux n’hésitent pas non plus à intervenir du côté des écoles et des garderies (appelées crèches), une compétence des communes — l’équivalent des municipalités au Québec. « Nous souhaitons que la cour d’école puisse aussi servir de parc », explique Anne Vignot, maire de Besançon, près de la frontière suisse. En plus d’augmenter le budget d’investissement des 63 établissements sous sa gestion afin d’améliorer leur performance énergétique, elle travaille au dépavonnement des cours d’école et à l’apaisement de la circulation aux alentours.
Les maires ne sont pas les seuls à agir, souligne Catherine Hervieu, conseillère municipale à Dijon et conseillère départementale. Afin de favoriser l’achat local de légumes, elle a obtenu que la Ville crée une maraîchère qui permettra d’éplucher, râper et découper 200 tonnes de légumes en 2024 pour nourrir les écoliers à l’heure du déjeuner.
Présidente de la Fédération des élus verts et écologistes (FEVE), qui compte 700 adhérents, Catherine Hervieu recense 2 000 élus écologistes dans les conseils municipaux, départementaux et régionaux, dont la plupart sont un rouage essentiel de la coalition de gauche au pouvoir. Cela se ressent dans le contenu des acquis sociaux, qui vont bien au-delà de l’encadrement des loyers. À Lyon, un premier budget « genré » (les dépenses ne doivent privilégier ni les hommes ni les garçons). À Tours, une Maison de l’accueil pour les migrants. À Annecy, des distributeurs de serviettes hygiéniques bio gratuites. À Grenoble, l’autorisation du burkini dans les piscines et l’interdiction des panneaux publicitaires sur 90 % du territoire. « Pour éliminer une couche de capitalisme », explique Éric Piolle.
Bien sûr, les Verts doivent faire face à des résistances, qui conduisent parfois à des excès. Emmanuelle Pierre-Marie, qui ne se déplace qu’à pied ou à vélo, a été agressée verbalement et physiquement à plusieurs reprises, et poursuivie jusqu’à son domicile. « Être une femme et une écologiste, c’est très dur, confie la maire, qui dispose désormais de gardes du corps. En tant qu’élue locale, on est aussi à portée de gifles. »
Tous les maires écolos envient leurs collègues du Grand Lyon, car la deuxième métropole française avance vite sur le front écologique. Depuis 2020, le président du Grand Lyon est de la même couleur politique que le maire et contrôle l’autorité gérant les transports publics. Le budget consolidé de cinq milliards d’euros leur donne un pouvoir d’action considérable : gratuité des transports en commun pour les plus démunis, aide de 420 euros par mois pour les 18-24 ans en difficulté financière, ouverture de 250 km des Voies Lyonnaises, le réseau express cyclable.
Cette cohérence du Grand Lyon n’est pas typique du « millefeuille administratif » français, où les conflits de compétences sont nombreux entre la commune, l’intercommunalité, le département et la région. Sans parler de cette autre institution très française : la préfecture, qui représente l’Etat dans chaque département. Très souvent, les préfets, censés contrôler la légalité des délibérations des élus locaux, interviennent dans les débats politiques.
Dans certains cas, les compétences de chaque autorité sont claires. Les écoles primaires sont du ressort des communes, les collèges (de niveau secondaire) sont du ressort du département et les lycées de la région ! Pour le reste, le partage des responsabilités est un véritable casse-tête.
Par exemple, Anne Vignot, maire de Besançon, est également présidente de droit de la Métropole du Grand Besançon, qui regroupe 200 000 habitants issus de 80 communes, dont près de la moitié comptent moins de 1 000 habitants. Ainsi, Besançon, première ville de France à avoir créé une rue piétonne en 1974, n’a plus aucun contrôle direct sur sa politique de circulation, qui est désormais du ressort de la Métropole du Grand Besançon. « Pour tripler le budget des pistes cyclables, j’ai dû mener une enquête pour montrer aux maires que leur population le souhaitait. Bref, c’est compliqué. »
La démocratie est au cœur des préoccupations des écologistes. « Nous cherchons de nouveaux formats participatifs. Pour renouveler les publics, nous proposons des garderies lors des réunions », illustre Jeanne Barseghian. Avec pour objectif d’introduire davantage d’écoresponsabilité au sein du célèbre marché de Noël de Strasbourg (trois millions de visiteurs en 2023), elle a sollicité des propositions de la population et constitué un jury de 50 citoyens pour les évaluer et faire des recommandations.
« C’est vraiment dans le domaine de la participation citoyenne qu’on apprend le plus de Strasbourg », affirme François Limoges. Cette coopération implique non seulement les élus, mais aussi les fonctionnaires et les organismes communautaires. « Car une politique environnementale ne peut pas être faite contre les gens », souligne le maire de l’arrondissement de Montréal.
Reste à savoir si les Verts parviendront à s’imposer durablement après la percée de 2020. Leur parti, qui s’appelait jusqu’à récemment Europe Écologie Les Verts (EELV), occupe une place solide au Parlement européen (9 députés sur 79 en 2019), et personne n’est inquiet pour les élections européennes de juin 2024.
Après une période difficile de 2015 à 2019, le parti monte en puissance. Aux dernières élections départementales de 2021, les écologistes sont passés de 40 à 140 conseillers municipaux. « C’est le résultat des combats que nous menons dans les villes et de notre travail d’ancrage au niveau local, explique Catherine Hervieu, qui en fait partie. L’écologie concerne tout le monde. L’enjeu sera de sortir de l’image de « bobos » urbains qui nous colle à la peau. »
Cet article a été publié dans le numéro de mai 2024 de Les nouvellessous le titre « Les villes françaises se verdissent ».