Les fossiles exceptionnels qui abondent sur l’île d’Anticosti constituent les exemples les plus diversifiés et les mieux préservés sur Terre de la vie marine disparue lors de la première extinction massive, il y a environ 445 millions d’années. Cette particularité a valu à la plus grande île du Québec d’être inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO le 19 septembre dernier.
Du jour au lendemain, Anticosti est apparue sur l’écran radar de nombreux voyageurs. Mais de là à voir débarquer des hordes de visiteurs, il y a un détroit à franchir.
Car si l’île est attrayante à bien des égards, elle est également difficile d’accès. Bella DesgagnésLe navire de ravitaillement qui y accoste une fois par semaine, seuls de petits avions relient l’île au continent. Mais le principal obstacle reste la capacité d’accueil : elle n’atteint même pas les 100 personnes, et une partie de l’offre est monopolisée par les chasseurs et les pêcheurs.
Dans un premier temps, la mairesse de L’Île-d’Anticosti, Hélène Boulanger, envisage donc de construire un hôtel sur les ruines du Château Menier, incendié en 1953. Mais avant d’y ajouter des logements, il reste beaucoup à faire. « Le plan d’urbanisme est à refaire et nous sommes aux prises avec un avis d’ébullition d’eau depuis 20 ans, dit-elle. Au moins, cette désignation nous permettra de moderniser la municipalité, et j’ai bon espoir d’obtenir du financement du gouvernement. »
Une fois cette question réglée, le maire envisage la mise en place d’un ferry (traversée de 5h30 minimum depuis Havre-Saint-Pierre), un projet qui nécessitera également une aide de l’Etat.
Difficile de prédire combien de visiteurs s’y rendront. « Aucune étude scientifique n’a démontré qu’il y avait un lien direct entre la désignation d’un site par l’UNESCO et l’augmentation du tourisme, sauf une, qui est contestée », affirme Laurent Bourdeau, professeur de géographie à l’Université Laval et représentant de l’établissement au sein d’UNITWIN/UNESCO Culture, Tourisme, Développement, un réseau international d’universités qui soutient le travail de l’UNESCO.
Si l’inscription peut attirer l’attention, d’autres facteurs doivent ensuite entrer en jeu pour susciter un intérêt accru. Par exemple, si certains sites sont esthétiquement impressionnants (Vieux-Québec, Dubrovnik, etc.), d’autres, comme le site fossilifère de Miguasha en Gaspésie, sont moins remarquables visuellement. « La désignation de Miguasha [en 1999] « a augmenté l’achalandage sans représenter une poussée ingérable de visiteurs », affirme Simon Boivin, porte-parole de la Sépaq, qui gère également le parc national d’Anticosti.
Pour bien encadrer le développement touristique, un OBNL, Destination Anticosti, sera créé dans quelques mois. On pense évidemment aux activités déjà promues par la Sépaq, comme la randonnée pédestre, tandis qu’Anticosti Écotours organise des visites de l’île, des excursions en mer et des safaris photos. Mais on pourrait aussi penser à des sorties en vélo de montagne sur des chemins forestiers ou sur certaines plages.
Tourisme Côte-Nord, dont la mission est de promouvoir la région, souhaite également inciter les visiteurs à faire un détour sur le continent avant ou après leur séjour à Anticosti. « L’archipel de Mingan et le tourisme autochtone, avec nos neuf communautés, sont des destinations à considérer », affirme Joannie Francœur-Côté, directrice générale de l’organisme.
Une chose est sûre : la géologie d’Anticosti attirera de plus en plus de scientifiques qui viendront étudier les traces d’une extinction massive, probablement causée par… un changement climatique soudain. Comme si, du fond des temps, par sa désignation, Anticosti ramenait ce témoignage du passé dans l’actualité.
Cet article a été publié dans le numéro de mars 2024 de Les nouvellessous le titre « L’île au trésor ».