Gel, sécheresse, inondations… L’été 2023 a été si difficile pour les agriculteurs québécois que les compensations versées par Financière agricole s’élèvent déjà à plus de 60 millions de dollars, soit près de cinq fois plus qu’en 2022 à pareille date.
Partout sur la planète, l’agriculture doit s’adapter aux changements climatiques tout en réduisant son empreinte écologique. Cette transformation passe par l’agroécologie, explique Sandra Gagnon, spécialiste principale de programme au Centre de recherches pour le développement international (CRDI). Cette méthode, qui met l’accent sur les liens entre l’agriculture, l’écologie et la société, peut aussi être une solution aux crises qui fragilisent la chaîne alimentaire, comme une pandémie ou l’instabilité politique, affirme l’experte en développement durable qui a travaillé 16 ans en Amérique du Sud, où l’agroécologie, bien que marginale, est en pleine croissance.
Les nouvelles je l’ai rencontrée au sommet Adaptation Futures 2023, qui s’est tenu à Montréal cet automne.
Qu’est-ce que l’agroécologie ?
C’est une science, une pratique, mais aussi un mouvement social. Elle s’est popularisée dans les années 1970 et 1980 dans les pays du Sud, en opposition à l’industrialisation de l’agriculture, caractérisée par une intensification des rendements et l’utilisation d’engrais et de pesticides. L’agroécologie va plus loin que l’agriculture biologique. C’est une manière de repenser l’agriculture pour conserver la biodiversité et la fertilité des sols, au lieu de viser uniquement le profit à court terme. Car avec l’agriculture biologique, on peut toujours cultiver de grandes monocultures. Les fermes agroécologiques sont de petite taille et se concentrent sur une diversification des plantes, comme les légumes, les arbres fruitiers et les plantes fixatrices d’azote comme les légumineuses. Aucun produit chimique, qu’il s’agisse d’engrais ou de pesticides, n’est utilisé à la ferme. L’agroécologie redonne également de l’autonomie aux producteurs — notamment aux communautés autochtones — qui ne dépendent plus des gros fournisseurs pour les semences et les engrais. Elle prône la souveraineté alimentaire et un retour à l’agriculture comme moyen de subsistance local et équitable.
Pourquoi est-ce une méthode gagnante dans le contexte du changement climatique ?
Diversifier ses cultures permet de s’assurer qu’il y aura toujours quelque chose qui poussera. En cas d’insecte ou de maladie, toutes les cultures ne seront pas affectées. Différentes variétés d’arbres ou de plantes entre les rangs améliorent la rétention du sol lors de fortes pluies. Mais l’agroécologie est plus qu’une simple défense contre les intempéries. Elle réduit les émissions de gaz à effet de serre en limitant l’utilisation de machines et en éliminant les produits chimiques, qui émettent beaucoup de GES en plus de nuire à la biodiversité.
Comment adopter l’agroécologie et quels sont les enjeux ?
Il est nécessaire de mettre en place des politiques gouvernementales cohérentes, avec des mesures incitatives pour favoriser l’accès aux petites exploitations. Dans les zones urbaines, les jardins communautaires pourraient être plus nombreux. Au Pérou, par exemple, les municipalités donnent des terrains vacants à la population à cet effet.
L’agroécologie demande plus de main-d’œuvre, il y a donc encore beaucoup de défis liés aux coûts. Il faut encourager les circuits courts comme le modèle du panier bio, qui fonctionne bien au Québec. À l’heure actuelle, on ne peut pas se passer des grandes cultures, mais elles pourraient s’inspirer des principes de l’agroécologie et les producteurs devraient être plus transparents avec les consommateurs sur leurs impacts environnementaux.
Cet article a été modifié le 7 novembre, car il indiquait qu’en agroécologie, on n’introduit rien d’extérieur à l’exploitation, pas même un ennemi naturel comme un insecte pour lutter contre un ravageur ou une maladie, ce qui pourrait laisser penser que la lutte intégrée n’est pas autorisée. Cependant, il est possible de favoriser les ennemis naturels déjà présents dans l’environnement.