TIl existe deux catégories de crises. Celles qui surviennent au moment où on s’y attend le moins, et celles qui sont prévisibles car elles suivent des trajectoires statistiques froides et implacables. Le vieillissement démographique fait partie de la deuxième catégorie. Ce phénomène mondial représente un bouleversement social et économique majeur qui Le monde a récemment voulu attirer l’attention sur cette évolution sans précédent dans l’histoire de l’humanité à travers une série d’articles. Néanmoins, les conséquences de cette évolution sans précédent dans l’histoire de l’humanité sont encore, à ce stade, insuffisamment anticipées.
Avec les progrès de la médecine, l’allongement de l’espérance de vie et la baisse de la natalité, la proportion de personnes âgées augmente inexorablement, déformant de plus en plus la pyramide des âges. Ce phénomène, qui constitue une bonne nouvelle au niveau individuel, menace néanmoins de déstabiliser les systèmes sociaux et de protection sociale conçus dans l’immédiat après-guerre.
Pour ne prendre que l’exemple français, un habitant sur cinq a plus de 65 ans. En 1970, ils ne représentaient que 13 % de la population. En moins d’un demi-siècle, le nombre de retraités a plus que triplé. En 2070, cette tranche d’âge représentera près d’un tiers de la population française. De plus, structurellement, les pays les plus âgés peinent à maintenir un niveau de croissance capable de financer leurs modèles de protection sociale.
Mécanique implacable
Sans efforts considérables en matière d’innovation et d’éducation, notre productivité, qui permet la création de richesses, risque de continuer à baisser en raison de l’érosion de la population en âge de travailler. Dans le même temps, l’épargne des ménages dépasse la consommation et l’investissement, tandis que le vieillissement absorbe une part croissante des ressources du pays, au détriment des investissements d’avenir.
La tendance est implacable. La croissance s’assèche, les recettes fiscales sont de plus en plus difficiles à lever, alors que les dépenses sont vouées à croître de manière exponentielle. À l’augmentation des retraites s’ajoute l’explosion des dépenses de santé liée au vieillissement des populations, et à la nécessité de subvenir aux besoins de leurs États très dépendants dans leurs dernières années de vie. Bref, de moins en moins de personnes doivent financer de plus en plus de dépenses. À l’heure où la dette publique est déjà un enjeu majeur et où d’autres dépenses (transition verte, défense…) sont urgentes, il deviendra impossible de faire des choix budgétaires.
Cette description semble être une lapalissade, tant elle est largement appuyée par des centaines de rapports et de projections statistiques fiables. Pourtant, le débat politique sur ces questions est extrêmement polarisé en France, ce qui freine la réflexion et paralyse l’action politique. Entre les méthodes douteuses de la récente réforme des retraites et le déni systématique de la réalité par ses opposants, il faut qu’il y ait place pour un débat qui ne tourne pas au zèle.
Il n’existe pas de solutions simples et populaires à l’épineuse question du vieillissement. Augmenter les impôts, baisser le niveau des retraites, relever l’âge de la retraite, choisir les générations à privilégier dans les politiques publiques, recourir à l’immigration pour compenser la baisse de la population en âge de travailler et financer les retraites : chacune de ces options requiert du réalisme et un sens de l’équité, deux dimensions qu’il faut redécouvrir pour le débat national sur la question.