L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux portent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.
Les sondeurs n’ont pas la vie facile. Le résultat de leur travail est peut-être le produit le plus consommé en période électorale. Un produit souvent incompris non seulement par le grand public qui le consomme, mais aussi par les médias qui le commentent.
La tâche des sondeurs, déjà pas simple au début, est devenue de plus en plus difficile au fil des années.
La baisse drastique de l’utilisation du téléphone fixe (et le référencement de la quasi-totalité des électeurs dans les « pages blanches » d’un annuaire) fait qu’il leur est désormais quasiment impossible de réaliser un échantillon aléatoire, et donc représentatif.
Le refus d’un nombre croissant d’électeurs de participer à de telles enquêtes d’opinion, notamment de la part de certaines couches de la population – plus méfiantes à l’égard des institutions établies – introduit un risque constant de biais de non-réponse.
Dans le contexte de l’élection du 5 novembre, où Donald Trump est à nouveau candidat, la possibilité que les sondés hésitent à admettre qu’ils soutiennent le candidat républicain est bien réelle. Cette réalité est mise en évidence depuis les élections de 2016. Là aussi, nous sommes confrontés à un risque de biais de réponse.
Et la même question revient toujours hanter les sondeurs américains : parmi ceux qui acceptent de répondre à l’enquête, qui votera le jour de l’élection ? La question n’est pas anodine. Les sondeurs y ont réfléchi et ont imaginé différentes méthodes pour tenter de déterminer qui se rendra réellement aux urnes. Certains s’appuient sur l’historique de participation électorale de la personne interrogée (l’historique lui-même basé sur des réponses qui peuvent ne pas être véridiques), tandis que d’autres posent directement la question : « Envisagez-vous de voter en novembre ? »
Sachant tout cela, on comprend que les sondeurs sont en difficulté. Et cela, pour la troisième présidentielle consécutive, nombre d’entre eux ont royalement tort.
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Impossible de savoir qui, de Kamala Harris ou de Donald Trump, remportera l’élection du 5 novembre. Les candidats l’ignorent, leurs équipes de campagne aussi. Comme l’a fait remarquer Selon le statisticien Nate Silver plus tôt cette semaine, quiconque prétend actuellement que les sondages lui sont favorables vous vend une course insensée.
Harris pourrait balayer les sept États actuellement disputés par les deux partis, ce qui lui donnerait la plus grande victoire au collège électoral depuis celle de Barack Obama en 2008.
Trump pourrait faire de même, en lui donnant la plus grande marge au collège électoral pour un candidat républicain depuis près de 40 ans.
Et les deux candidats pourraient, de manière tout à fait plausible, diviser ces États de manière à ce que Harris l’emporte avec une marge de 270 électeurs contre 268, ce qui s’avérerait être le vote le plus serré depuis l’élection de 1876, le plus serré de l’histoire américaine.
Bref, l’incertitude règne quant à l’issue du vote.
Et les sondages donnent parfois lieu à des aberrations. Par exemple, si Harris est effectivement en avance de sept points au Nevada (comme le dit Bloomberg), elle ne peut pas être en retard de six points en Arizona (comme le dit Bloomberg). Les États-Unis aujourd’hui). Et vice versa.
Et si Harris devance Trump de seulement trois points dans le Minnesota (comme le soutient Rasmussen), un État qui n’a pas été remporté par un candidat républicain à la présidentielle depuis 1972, elle ne peut pas devancer Trump de cinq points dans l’État le plus disputé du pays, la Pennsylvanie (comme le dit Bloomberg). dit aussi là-bas).
Il ne s’agit pas simplement d’écarts imputables à la « marge d’erreur ». Il s’agit de portraits d’un monde qui n’existe pas.
Et ce ne sont pas seulement quelques enquêtes qui constituent une poignée d’« aberrations » normales lorsque l’on multiplie le nombre d’échantillons. C’est un problème persistant depuis plusieurs semaines.
En août, le même bureau de vote, celui de l’Université du New Hampshire, donnait à Kamala Harris une avance de 5 points dans le New Hampshire et de 18 points dans le Maine. Comme c’est le cas pour l’Arizona et le Nevada, cités plus haut, ce sont deux États voisins non seulement géographiquement, mais aussi politiquement : lors des deux dernières élections présidentielles, les résultats du vote dans les deux États étaient à un point de pourcentage près l’un de l’autre. .
Il a fallu une accumulation de ce genre de données insensées pour que Nate Cohn, l’excellent analyste du New York Timesa finalement écrit un texte soulignant que certaines choses n’allaient pas bien.
Parmi ceux-ci : l’appétit insatiable de profits des médias américains incite les sondeurs (eux aussi en quête de profits) à produire des sondages à la suite, privilégiant la quantité au détriment de la qualité.
Comme l’ont montré trois politologues dans un article classique il y a 20 ans, rien ne « vend » plus aux « consommateurs » d’informations liées aux élections que les résultats des sondages. Les détails du processus législatif sont parfois ennuyeux ; la « course de chevaux » – métaphore utilisée par les auteurs de l’article pour illustrer les résultats des sondages –, quant à elle, fait vendre.
Bien entendu, les sondeurs doivent veiller à leur réputation. Il n’en reste pas moins qu’avec le nombre de sondages lancés sur l’espace public, la mémoire collective a tendance à être courte. Qui se souvient que les sondeurs ABC donnaient à Joe Biden une confortable avance de 17 points dans le Wisconsin quelques jours seulement avant qu’il ne remporte l’État avec une mince marge de 0,6 % ?
De plus, les équipes de campagne disposent également de leurs propres sondeurs internes. Leur objectif principal est de fournir à la campagne et au candidat le portrait le plus complet et le plus fiable de la véritable situation de la course.
Depuis des semaines, des sources proches de l’équipe Harris soutiennent que les sondages internes ne correspondent pas à ce qui est véhiculé dans les médias (ces derniers dressant, selon ces mêmes sources, un portrait plus rose que la réalité de Harris dans des Etats comme le Michigan). Le temps nous dira qui disait la vérité.
Pour l’instant, deux choses demeurent.
La première : les sondages, malgré leurs erreurs et leur surabondance, restent le meilleur outil de mesure de l’opinion publique. La seconde : avec ou sans sondages sur les cinq dernières semaines de course, on peut dire qu’il est impossible de prédire qui remportera la Maison Blanche le 5 novembre.