Un décret, signé par Michel Barnier le 30 octobre, prévoit que les médecins justifient la prescription de certains médicaments auprès de l’Assurance maladie. Une mesure dénoncée par les syndicats de médecins. Parmi les médicaments visés – dont la liste n’a pas encore été rendue publique – figurent les antidiabétiques parfois détournés à des fins de perte de poids.
Un arrêté passé sous les radars qui déplaît aux médecins. Le Premier ministre Michel Barnier et la ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq, ont signé le 30 octobre un décret pour que les professionnels de santé justifient la prescription de certains médicaments à l’Assurance maladie.
L’Assurance maladie peut ainsi vérifier que cette prescription correspond aux indications thérapeutiques établies par la Haute autorité de santé (HAS) et qu’elle est éligible au remboursement par la sécurité sociale.
Si la liste des médicaments concernés n’a pas encore été publiée au Journal officiel, ce nouveau décret, qui permet de fait l’application de la loi de financement de la sécurité sociale 2024, n’est pas transmis aux syndicats de médecins. Ces derniers dénoncent une charge administrative supplémentaire qui in fine un impact sur les patients.
Un décret qui « menace la qualité et l’accès aux soins »
“Ce n’est pas le moment de nous rajouter de la paperasse dans le contexte démographique actuel”, a déclaré Jean-Christophe Nogrette, président du syndicat MG France, sur BFMTV.com.
“Ce décret n’a d’autre but que de compliquer la vie des professionnels” et va “conduire à une dégradation de la santé publique”, déplore-t-il.
Un avis partagé par l’Union française pour une Médecine Libre qui souligne dans un communiqué publié ce lundi 4 novembre que ce « décret est méprisant et déconnecté de la réalité du terrain » et « menace la qualité et l’accès aux soins ».
Le syndicat déplore une “surcharge de travail administratif” alors que “les médecins ont les plus grandes difficultés à répondre aux demandes de soins” et que “sept millions de Français n’ont pas de médecin traitant”.
“Le décret Michel Barnier, c’est la multiplication des départs de médecins, l’abandon de leur vocation, la fin du secret médical, une explosion des temps de non-soins et des lourdeurs administratives : une catastrophe pour les patients”, résume sur Jérôme Marty, président de le syndicat UFML appelant « la profession à la désobéissance ».
« Compliquez la vie des prescripteurs, laissez-les lâcher des molécules dangereuses »
Les médecins déplorent également que cet arrêté les empêche d’adapter les prescriptions aux besoins de leurs patients. Un médecin généraliste, appelé Docteur Pepper, est également préoccupé par le fait que les médecins refusent d’utiliser certains médicaments pour éviter des charges administratives alors qu’ils sont nécessaires à la santé de certains patients.
“Mais c’est peut-être finalement le but recherché : compliquer la vie des prescripteurs à tel point qu’ils abandonnent les molécules “dangereuses””, estime Richard Talbot, trésorier de la Fédération des médecins de France (FMF), sur le site de la Fédération.
“Il est révoltant et antiéthique de réduire les besoins de soins de nos patients à de simples recommandations d’experts de la HAS, même si certains ne sont pas d’accord avec les sociétés savantes”, ajoute le communiqué de l’UFML.
Autre mécontentement : que ce décret ait été signé par le Premier ministre sans concertation préalable avec les syndicats.
Prescriptions de médicaments détournés de leur usage initial
Le président du syndicat MG France, Jean-Christophe Nogrette, précise de son côté qu’il est cependant favorable à un contrôle de la prescription des médicaments détournés de leur usage initial, prenant par exemple les antidiabétiques détournés à des fins d’amaigrissement.
“Je suis favorable à ce que cela se fasse de manière rationnelle, mais cette paperasse est irrationnelle”, ajoute-t-il avant de rappeler que la convention médicale de 2024 prévoyait déjà d’expérimenter ce contrôle sur les médicaments traitant du diabète de type 2. . Mais cela, de manière « automatisée ». « Les ordinateurs de la Sécurité sociale en sont déjà capables, explique Jean-Christophe Nogrette.
Le Syndicat des médecins libéraux, qui dit néanmoins “attendre de voir la liste” des médicaments concernés avant de “réagir plus pleinement si nécessaire”, dénonce également “les molécules prescrites qui sont détournées de leur indication première”.
Sa présidente, Sophie Bauer, contactée par BFMTV.com, estime que c’est un problème lorsque les médecins n’indiquent pas sur l’ordonnance que celle-ci est faite pour une indication non reconnue. Et qu’il ne devrait donc pas être remboursé par la sécurité sociale.
“Mais il est vrai que cela complique la tâche d’une majorité de médecins qui suivent correctement les prescriptions” et qu’il s’agit d’une “complication administrative” ajoute-t-elle.
“Il ne s’agit pas de le faire systématiquement”
Alors que le projet de budget de la Sécurité sociale pour 2025 (PLFSS), actuellement examiné au Parlement, prévoit d’étendre cette procédure aux prescriptions de transport de patients et d’analyses médicales, le directeur général de l’Assurance maladie Thomas Fatôme s’est défendu devant le Sénat, rapporte l’AFP.
“Les professionnels doivent accepter qu’il y ait”, lors de la prescription de certains produits de santé, “des gestes très simples à suivre” pour vérifier que la prescription entre dans le champ du remboursement par l’Assurance maladie, a-t-il déclaré devant la commission des affaires sociales, jeudi 31 octobre.
“Il ne s’agit pas de le faire systématiquement, il ne s’agit pas d’ennuyer chaque prescripteur sur chaque molécule de base”, a-t-il assuré, précisant que le document demandé peut être édité “en quelques clics”.
“De nombreux autres pays sont beaucoup plus restrictifs que nous sur les conditions dans lesquelles les médecins peuvent prescrire différents types de traitements”, a-t-il également justifié.
Thomas Fatôme a précisé devant les sénateurs que l’Assurance Maladie cible notamment les antidiabétiques AGLP-1 comme l’Ozempic ou le Trulicityq.
“Si on ne surveille pas les conditions dans lesquelles elles sont prescrites, je peux vous dire qu’alors, les centaines de millions d’euros de dépenses, nous les aurons extrêmement, extrêmement, rapidement”, a-t-il souligné.
Ces dépenses sont en fait ce que le gouvernement voudrait éviter selon Richard Talbot, trésorier de la Fédération des médecins de France (FMF).
“Contrairement à ce que j’ai lu ici et là, il ne s’agit pas de restreindre la liberté de prescription mais bien plus prosaïquement d’économiser de l’argent”, estime-t-il.