Karl Bélanger a travaillé pendant près de 20 ans sur la Colline parlementaire à Ottawa, notamment comme attaché de presse principal de Jack Layton et secrétaire principal de Thomas Mulcair. Il a ensuite été directeur national du NPD avant de mettre fin à sa carrière politique à l’automne 2016. En plus d’agir comme commentateur et analyste politique à la télévision, à la radio et sur le Web, Karl est président de Traxxion Strategies.
« L’immigration est notre superpuissance – et le sera toujours. » C’est le principal message qu’a voulu faire passer Justin Trudeau en annonçant le 25 octobre une réduction des cibles pour les trois prochaines années. Et pourtant.
Initialement prévu à 500 000, l’objectif de nouveaux résidents permanents arrivant dans le pays en 2025 sera plutôt de 395 000, puis de 380 000 en 2026, et de 365 000 en 2027. Cette révision à la baisse s’ajoute à la réduction des objectifs déjà annoncés pour les étudiants internationaux et les étrangers temporaires. ouvriers.
Superpuissance disparue !
Mais c’est trop peu, trop tard, disent les détracteurs du Premier ministre. Malgré cette volte-face, le message du chef libéral ne semble pas être efficace. Au point qu’il a ressenti le besoin de publier cette semaine une vidéo (8 minutes et 42 secondes !) sur les réseaux sociaux pour expliquer sa position.
En politique, quand il faut expliquer, on ne gagne pas. En reconnaissant la gravité de la situation actuelle (notamment en lien avec la crise du logement), Justin Trudeau admet avoir pris un mauvais chemin ces dernières années en ouvrant les vannes à l’immigration. Ceux qui l’ont critiqué peuvent ainsi crier victoire. D’ailleurs, Justin Trudeau le reconnaît : « On aurait pu agir plus vite et fermer les robinets. »
Cette lenteur à agir est en fait à l’origine du problème de l’immigration libérale. Dès son élection en 2015, le gouvernement Trudeau a augmenté le nombre de résidents permanents admis chaque année, qui était alors de 272 000. Face au vieillissement de la population et surpris par la pénurie de main-d’œuvre qui a touché de nombreux secteurs à la fin de la pandémie en 2021, Justin Trudeau a donné — à la demande de plusieurs provinces — un sérieux revirement… sans tenir compte de la la fameuse « capacité d’accueil ». La nouvelle orientation de ces dernières semaines vise donc à redresser la première… trop tard.
Même s’il a tenté de rejeter la faute sur certains “mauvais acteurs”, c’est-à-dire les contrebandiers, les verriers exploitant main d’oeuvre bon marché…et les universités (!), la réalité est que les libéraux ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Comme dans d’autres dossiers, le gouvernement libéral n’a pas été en mesure d’évaluer les tendances et les effets collatéraux de ses décisions.
Cette mauvaise gestion fédérale de l’immigration a permis à de nombreux hommes politiques de s’exonérer de leur propre responsabilité. Des problèmes de santé ? Trop d’immigration. La crise du logement ? C’est la faute des immigrés. L’itinérance ? Causée par l’afflux massif d’immigrés, bien sûr. La montée de la violence ? L’explosion du nombre de personnes souffrant de problèmes de santé mentale ? Le nombre de postes d’enseignants non pourvus ? Je vous laisse deviner.
Cependant, les causes des problèmes que beaucoup attribuent à l’immigration ne peuvent se réduire à cette seule question. Les problèmes systémiques d’investissement, les choix politiques passés et les conditions de travail dans divers secteurs ne peuvent être imputés à la politique fédérale d’immigration.
Pour la défense de Justin Trudeau, il faut aussi dire qu’il n’était pas seul dans son camp. Au sortir de la pandémie, l’immigration était largement considérée comme la solution presque magique pour répondre aux besoins de main-d’œuvre, stimuler la croissance et éviter une éventuelle récession. L’augmentation des cibles d’immigration a été réclamée par les gouvernements provinciaux (à l’exception du Québec) et par les entreprises canadiennes de différents secteurs – même si certains économistes, notamment, soulignaient déjà que l’immigration n’avait qu’un impact minime pour contrer le vieillissement de la population. , et un effet limité pour atténuer la pénurie de main-d’œuvre (car les immigrés qui sont dans le pays ont également besoin de services…).
Mais la lenteur des libéraux à corriger la situation et à prendre conscience des effets négatifs qu’a eu la politique de hausse rapide des seuils et de perte de contrôle sur l’immigration temporaire fait que l’appui des Canadiens à l’immigration, une constante pour un pays qui s’est construit en grande partie suite à des dizaines de vagues d’immigration au fil des siècles, s’est effondrée. À tel point que, pour la première fois depuis plus de 30 ans, les sondages indiquent qu’une majorité de gens pensent qu’il y a trop d’immigrants au Canada — Léger rapportant que 57 % des gens croient que le pays devrait en accueillir moins.
Maintenant, Justin Trudeau leur donne essentiellement raison… ainsi qu’à ceux qui attribuent toute une liste de problèmes à l’immigration. Et déjà, on entend des appels pour fermer encore plus les robinets. Et il y a ces politiciens québécois qui vont encore plus loin, en effrayant le monde avec « les millions » de réfugiés qui arriveront pour échapper à Donald Trump. Tout cela est triste… et aurait pu être largement évité si le gouvernement libéral n’avait pas mis autant de temps à faire avancer les choses, tant en amont qu’en aval.