Karl Bélanger a travaillé pendant près de 20 ans sur la Colline parlementaire à Ottawa, notamment comme attaché de presse principal de Jack Layton et secrétaire principal de Thomas Mulcair. Il a ensuite été directeur national du NPD avant de mettre fin à sa carrière politique à l’automne 2016. En plus d’agir comme commentateur et analyste politique à la télévision, à la radio et sur le Web, Karl est président de Traxxion Strategies.
Les tactiques de négociation de Donald Trump sont bien connues. Pour mémoire, la formule est la suivante : Trump annonce une menace sur les réseaux sociaux. Tout le monde panique. Les gouvernements s’efforcent de trouver un moyen d’apaiser Donald Trump et de lui permettre de crier victoire sans changements radicaux. Un accord est trouvé et la panique prend fin. Donald Trump déclare la victoire, les militants de MAGA jubilent. Et on recommence.
Cette façon de faire de Donald Trump n’est pas un secret – elle est clairement expliquée dans son livre L’art de la négociation (L’art du marché).
Le Canada y a bien sûr eu un avant-goût sous la première présidence Trump, qui a mené à la renégociation de l’ALENA (l’Accord de libre-échange nord-américain, devenu l’ACEUM, l’Accord Canada-États-Unis). États-Unis–Mexique). En 2018, Donald Trump a imposé des droits de douane de 25 % sur les importations d’acier et de 10 % sur les importations d’aluminium en provenance du Canada. A l’époque, les observateurs craignaient le déclenchement d’une guerre commerciale. Puis, en mai 2019, les États-Unis ont supprimé les droits de douane supplémentaires.
Mais Justin Trudeau n’a d’autre choix que de prendre au sérieux la menace actuelle. Il ne peut pas se permettre de supposer que Donald Trump bluffe. Sans paniquer, le premier ministre doit agir dans ce film de déjà-vu pour protéger les intérêts du Canada.
C’est pourquoi il a bien fait de rencontrer immédiatement les premiers ministres provinciaux la semaine dernière. Son appel à l’unité était la bonne chose à faire, surtout face aux notes discordantes venant notamment de François Legault, Doug Ford et Danielle Smith, qui étaient essentiellement d’accord avec Donald Trump concernant la gestion de la frontière.
De même, le voyage inopiné de Justin Trudeau à Mar-a-Lago était également un incontournable. En partageant du pain de viande avec Donald Trump et son entourage, la délégation canadienne a pu apprécier directement la menace. Les Canadiens sont sortis de la soirée plutôt optimistes, le ministre Dominic LeBlanc parlant même d’une « parfaite ouverture » de Donald Trump sur le sujet.
Pour Justin Trudeau, la question est politiquement délicate. C’est également vrai pour Pierre Poilievre.
Aux prises avec une Chambre des communes paralysée depuis des mois par l’opposition, menacée par des motions de censure, le Premier ministre n’a pas des bases très solides face à celui qui va bientôt redevenir président des États-Unis.
Pierre Poilievre a donc raison lorsqu’il accuse Justin Trudeau d’être en position de faiblesse. En gros, à première vue, c’est le cas. Mais sur la forme, en attaquant le premier ministre sur cet enjeu crucial pour l’économie canadienne – qui pourrait avoir des effets négatifs majeurs sur les entreprises et les consommateurs canadiens (et américains!) – Pierre Poilievre se retrouve à affaiblir encore davantage Justin. Trudeau et, par le fait même, la position du Canada.
Justin Trudeau n’a donc aucun problème à accuser Pierre Poilievre de faire passer ses intérêts partisans avant les intérêts nationaux. Le message de Pierre Poilievre après l’élection de Donald Trump était bien plus significatif, notamment lorsqu’il affirmait qu’il allait « combattre le feu par le feu » et « donner la priorité au Canada ». C’est le genre de message qui l’aide à se définir comme celui qui sera le mieux placé pour gérer la relation avec les États-Unis sous Donald Trump.
Mais chassez le naturel, il revient au galop. Il y a un dicton en politique qui dit que lorsque votre adversaire est à terre, continuez à le frapper. C’est ce que fait Pierre Poilievre. Même si son avance dans les sondages semble insurmontable, il continue de faire grève, quitte à nuire aux meilleurs intérêts du pays.
La tactique a fait ses preuves, mais elle n’est pas sans risque dans ce cas précis. Malgré la progression des intentions de vote, la Pierromania ne fait pas son chemin à travers le Canada. Les électeurs le voient avec méfiance, particulièrement au Québec. Beaucoup font des parallèles entre Pierre Poilievre et Donald Trump, que ce soit sur le plan idéologique ou par rapport à la tactique, au ton et à la manière de faire de la politique. Or, Pierre Poilievre a intérêt à s’éloigner de Donald Trump, peu apprécié par la grande majorité des électeurs canadiens… et même par la moitié des électeurs conservateurs.
Justin Trudeau a convié les chefs de l’opposition à une réunion pour discuter de la stratégie à adopter suite au retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Son appel à la collaboration semble avoir été bien apprécié par les chefs du NPD, du Parti vert et du Bloc québécois. Mais selon Jagmeet Singh et Elizabeth May, Pierre Poilievre a eu la même approche partisane dans cette rencontre qu’en public (on ne peut pas l’accuser d’hypocrisie…).
S’il continue sur sa lancée, la perception selon laquelle Pierre Poilievre s’aligne derrière Donald Trump contre le gouvernement du Canada pourrait s’installer. Il ne peut pas se permettre de donner l’impression d’être d’accord avec le message, les propos et les positions de Donald Trump.
Par le passé, plusieurs libéraux (dont Justin Trudeau) ont tenté d’associer le Parti républicain de Donald Trump aux conservateurs de Pierre Poilievre. Pour l’instant, la sauce n’a pas pris. Mais en agissant ainsi, le chef conservateur donne une autre chance au message de se propager.
C’est donc une porte ouverte pour d’autres partis d’opposition. Si les libéraux ne peuvent pas se permettre de faire directement le lien Poilievre-Trump, ce n’est pas le cas du Bloc, des néo-démocrates et des Verts, qui pourraient être tentés d’occuper ce terrain vacant. Justin Trudeau en serait très heureux.