L’auteur est professeur de sciences politiques au Collège militaire royal et à l’Université Queen’s, à Kingston, en Ontario. Les recherches de ce spécialiste de la politique canadienne portent sur les langues officielles, le fédéralisme et la politique judiciaire.
L’annonce de la démission de Chrystia Freeland a complètement fait passer sous les radars la réunion d’automne des premiers ministres provinciaux et territoriaux, qui avait lieu le même jour à Toronto.
Cette rencontre est habituellement l’occasion pour les provinces de partager leurs doléances et de formuler des revendications communes à Ottawa. Cette fois, l’agenda était dominé par la politique américaine – l’intention étant de trouver un terrain d’entente pour faire face à la menace des tarifs douaniers américains promis par Donald Trump.
Cependant, malgré une volonté exprimée par plusieurs premiers ministres de former un front unique, des désaccords assez importants persistent entre les provinces.
Entre ligne dure et conciliation, deux camps se sont rapidement formés. Parmi ceux qui veulent « combattre le feu par le feu » et imposer leurs propres tarifs aux Américains figurent le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, ainsi que David Eby, de la Colombie-Britannique, qui affirme qu’il ne sera pas contre cette idée. Doug Ford a publiquement plaidé en faveur de la suspension des exportations d’électricité produite par l’Ontario vers les États du Michigan, du Minnesota et de New York, ainsi que de la limitation de la vente de minéraux et de métaux valorisés par les États-Unis, notamment l’uranium et l’aluminium.
En revanche, François Legault, Danielle Smith (Alberta) et Scott Moe (Saskatchewan) préfèrent une approche plus « diplomatique ». François Legault a notamment suggéré que le Canada réponde à Donald Trump en démontrant une volonté de mieux contrôler la frontière canado-américaine. Danielle Smith s’inquiète des effets d’une guerre tarifaire sur l’industrie pétrolière, alors que la grande majorité du pétrole brut produit dans la province est exportée vers le sud – pour une valeur de plus de 113 milliards de dollars en 2023. Cela explique peut-être sa réponse précipitée et conciliante. Peut-être trop, selon les observateurs, politiques et citoyens, car cela revient à être d’accord avec Donald Trump sur les « activités illégales » à notre frontière et à convenir que le gouvernement fédéral doit agir pour corriger la situation.
De plus, leÉnoncé économique de l’automnedont le contenu a également été abandonné à la suite du départ de Chrystia Freeland, promet un investissement de 1,3 milliard de dollars sur six ans, destiné à embaucher du personnel et à acheter des hélicoptères et des drones, afin de sécuriser la frontière.
Dans ce dossier, Doug Ford a fait preuve d’une grande combativité et a dépassé les limites gouvernement fédéral à plaider sa cause auprès de nos voisins du Sud. La province a lancé une campagne publicitaire de plusieurs millions de dollars plus tôt ce mois-ci pour convaincre les Américains – le président élu en premier lieu – que l’Ontario restait un partenaire économique de choix. Doug Ford a également multiplié les interviews sur les grands réseaux américains depuis fin novembre pour tenter de séduire nos voisins du Sud et affirmer que les tarifs douaniers américains seraient aussi néfastes pour l’économie américaine que pour l’économie canadienne.
M. Ford a une carte dans sa manche pour appuyer ses arguments, une carte que les autres provinces n’ont pas : celle de l’industrie automobile. Cette dernière est profondément implantée dans le sud de la province et au Michigan. Comme l’a rappelé Doug Ford à Fox News, les différents composants d’un véhicule peuvent traverser la frontière jusqu’à huit fois avant que sa construction ne soit terminée.
Il a également insinué que c’était le Mexique, et non le Canada, qui était le principal responsable de la crise du fentanyl, et que le Canada devrait signer un accord bilatéral avec les États-Unis, ce qui signifie abandonner le troisième partenaire de l’accord de libre-échange. Une stratégie qui, pour l’instant, ne semble pas avoir d’adeptes à Ottawa.
Pendant ce temps, le président élu répète depuis plusieurs jours ses attaques et moqueries contre le Canada, qu’il qualifie sur les réseaux sociaux de « 51 ».e État des États-Unis. C’est un immense cadeau que lui a fait Chrystia Freeland en déstabilisant encore davantage le premier ministre Justin Trudeau, dont la légitimité politique était déjà mise à mal depuis plusieurs mois.
À un mois de l’investiture de Donald Trump et à la veille des vacances, le temps commence à manquer pour mettre en œuvre une nouvelle stratégie « Équipe Canada ». Dans ce contexte, il y a fort à parier que Doug Ford ne sera pas le seul à tenter de combler le vide de leadership politique canadien.