Laelia Benoit est pédopsychiatre et chercheuse à l’INSERM.
Dans un monde confronté à une crise climatique croissante, un nouveau phénomène apparaît : l’écoanxiété. Souvent incomprise et parfois considérée à tort comme une maladie, l’écoanxiété est en réalité une réaction normale et adaptée à la réalité environnementale et notamment au changement climatique.
Examinons de plus près ce que signifie réellement l’écoanxiété, pourquoi elle affecte particulièrement certains groupes et comment y faire face de manière constructive.
Émotions liées à la perte écologique
L’écoanxiété peut être définie comme l’ensemble des réactions émotionnelles, principalement négatives mais parfois aussi positives, liées à la peur d’un effondrement environnemental et d’une perte écologique. Ce sont les émotions que nous ressentons face à la dégradation de notre planète et à la prise de conscience que certains changements seront irréversibles.
Ainsi, selon cette étude de l’université de Yale aux États-Unis :
« 65 % des Américains se disent au moins « quelque peu inquiets » du réchauffement climatique. Parmi eux, 29% se disent « très inquiets ». Environ un Américain sur dix déclare avoir ressenti des symptômes d’anxiété ou de dépression en raison du réchauffement climatique pendant plusieurs jours ou plus au cours des deux dernières semaines. »
L’écoanxiété présente de nombreuses similitudes avec le processus de deuil. Comme pour la perte, elle implique des phases d’incrédulité, de tristesse, de colère et parfois de culpabilité ou de honte. Ce processus prend du temps et peut conduire à une transformation personnelle.
Il ne faut cependant pas confondre l’écoanxiété avec les situations vécues par les populations qui souffrent d’anxiété, de dépression ou encore de troubles post-traumatiques car leur cadre de vie disparaît en raison notamment du changement climatique.
Une réaction saine, pas une maladie
En effet, contrairement aux idées reçues, l’écoanxiété n’est pas une maladie. Les spécialistes, notamment l’American Psychological Association (APA), y voient une réaction saine et appropriée à une réalité environnementale inquiétante. En 2016-2017, l’APA a clairement établi que l’écoanxiété n’est pas pathologique, mais une réponse normale aux défis environnementaux actuels.
La tendance à médicaliser l’écoanxiété peut être considérée comme une manière d’individualiser et de minimiser le problème. En la considérant comme une maladie, nous risquons de détourner l’attention des véritables enjeux environnementaux et de la nécessité d’une action collective.
Quels groupes sont les plus touchés ?
Des études montrent que, au sein de la population, certains groupes sont plus susceptibles de ressentir de l’écoanxiété et de se sentir préoccupés par les enjeux de justice climatique :
- Les jeunes : ils sont particulièrement concernés car ils seront les plus touchés par les conséquences du changement climatique à long terme. De plus, ils disposent souvent d’un pouvoir limité pour influencer les décisions actuelles.
- Minorités ethniques : dans certains pays comme aux États-Unis, les populations noires et hispaniques sont plus inquiètes, conscientes qu’elles risquent d’être davantage impactées par les conséquences du changement climatique.
- Femmes : elles ont tendance à exprimer davantage de préoccupation quant aux questions environnementales.
- Personnes à faible revenu : elles sont plus vulnérables aux impacts du changement climatique et disposent de moins de moyens pour s’y adapter.
Cette répartition de l’écoanxiété reflète les inégalités sociales existantes et souligne que les groupes ayant le moins de pouvoir dans la société sont aussi ceux qui s’inquiètent le plus des conséquences du changement climatique.
Le reflet de l’injustice sociale
Il est crucial de comprendre que l’écoanxiété n’est pas simplement un problème individuel, mais le reflet d’une injustice sociale plus large. L’inaction climatique peut être considérée comme une forme de violence sociale, en particulier à l’encontre des jeunes générations dont l’avenir est le plus menacé.
Cette perspective permet de faire un parallèle avec d’autres formes d’oppression sociale. Tout comme le sexisme, le racisme ou l’homophobie peuvent affecter la santé mentale des groupes marginalisés, l’inaction face au changement climatique génère un mal-être chez ceux qui en souffrent ou en subiront le plus les conséquences.
Comment gérer l’écoanxiété ?
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la solution à l’écoanxiété ne réside pas nécessairement dans une approche médicale ou psychologique individuelle. Les recherches montrent que s’engager dans une action collective pour le climat constitue la réponse la plus efficace, en particulier pour les jeunes.
Participer à des initiatives de groupe permet de se sentir moins isolé face à ces préoccupations, de partager ses préoccupations avec des personnes qui les comprennent, d’agir concrètement et d’avoir un impact plus significatif et aussi de développer un sentiment d’efficacité et de contrôle.
Par exemple, s’engager dans un projet collectif d’isolation thermique d’un bâtiment aura un impact plus important et plus satisfaisant que des éco-gestes individuels isolés.
Des études montrent que s’engager dans des actions collectives est associé à une meilleure santé mentale, avec moins de symptômes de dépression, d’anxiété et d’écoanxiété.
Le rôle des professionnels de santé
Face à l’écoanxiété, le rôle des professionnels de santé n’est pas de « soigner » un trouble individuel, mais plutôt de reconnaître la légitimité de ces préoccupations et d’orienter les personnes vers des actions collectives constructives.
Il est important que les professionnels de santé comprennent que l’écoanxiété est le symptôme d’un malaise sociétal plus large. Leur responsabilité est de valider ces préoccupations et d’encourager l’engagement dans des initiatives collectives plutôt que de proposer uniquement des solutions individuelles.
Transformez l’inquiétude en force motrice
L’écoanxiété n’est pas une maladie qui se guérit, mais une réaction compréhensible à la crise climatique. Elle révèle une prise de conscience des enjeux environnementaux et peut être un moteur d’action collective.
Plutôt que de chercher à « traiter » l’écoanxiété, nous devrions y voir un appel à l’action. Elle nous invite à repenser notre rapport à l’environnement et à nous engager collectivement pour un avenir plus durable.
En reconnaissant l’écoanxiété comme une réponse légitime et en encourageant l’action collective, nous pouvons transformer cette inquiétude en un moteur de changement positif. C’est en agissant ensemble que nous pourrons non seulement apaiser nos angoisses, mais aussi contribuer concrètement à la préservation de notre planète.
