Ancien stratège conservateur qui a conseillé l’ancien premier ministre Stephen Harper lors de trois élections, Yan Plante a été chef de cabinet de l’ancien ministre Denis Lebel. Depuis l’été 2023, il est président-directeur général du Réseau de développement économique et d’employabilité du Canada, un groupe qui œuvre pour la vitalité économique des communautés francophones et acadiennes en situation minoritaire.
Parmi toutes les hypothèses avancées pour à la fois répondre aux menaces tarifaires de Donald Trump et absorber le choc économique qui en résulterait, je m’étonne de ne pas avoir entendu les premiers ministres des provinces et des territoires avancer la solution de la suppression des barrières au commerce intérieur du Canada, une fois pour toutes. Le ministre des Finances du Québec, Éric Girard, a quand même ouvert une porte mardi en soulignant qu’il fallait regarder le commerce interprovincial dans le contexte canado-américain actuel.
Parce que les provinces imposent entre elles des barrières équivalentes à des tarifs douaniers de 7 %. Nous sommes loin du libre-échange.
Par exemple, encore aujourd’hui, il est difficile pour les producteurs de viande ou de fromage d’une province de vendre leurs produits dans une autre. Et lorsqu’ils traversent le pays, les camionneurs se heurtent à des réglementations différentes sur le poids maximum autorisé sur les routes ou sur le stockage de certaines marchandises.
Un employé qui a obtenu son diplôme en Alberta, par exemple, ne voit pas toujours ses compétences reconnues au Québec, même s’il s’agit du même employeur dans les deux provinces.
Ce ne sont là que quelques exemples de situations aberrantes. Les entrepreneurs canadiens me disent souvent qu’il leur est plus facile de faire des affaires dans un autre pays qu’au Canada même, parce que les barrières sont très élevées entre les provinces.
Le commerce interprovincial est largement oublié parmi les options possibles dans la réponse canadienne. Il s’agit cependant d’un élément sur lequel les provinces et territoires ont un pouvoir total, contrairement aux décisions de Donald Trump en matière de tarifs douaniers.
À mon avis, que Donald Trump impose des tarifs ou non, il est temps que les provinces et les territoires cessent de mettre autant d’obstacles à la libre circulation des biens, des services et de la main-d’œuvre au Canada.
Le cabinet Deloitte a analysé la question en novembre 2021 en procédant à une revue de plusieurs études. La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) a également publié un bulletin faisant le point sur le commerce intérieur au Canada. La suppression des obstacles au commerce intérieur canadien générerait une augmentation initiale de 3,8 % du PIB réel canadien, ce qui serait « considérablement supérieur au gain de 3 % enregistré au cours des cinq années précédant la pandémie ».
De plus, 88 % des entreprises considèrent qu’il est crucial que les gouvernements de tout le pays accordent la priorité à la suppression des obstacles à la libre circulation des produits, des services et de la main-d’œuvre. Plus de 50 % d’entre eux perdent en productivité lorsqu’ils doivent se conformer à une multitude de réglementations différentes d’une province canadienne à l’autre. Pour de nombreux entrepreneurs, les obstacles au commerce intérieur ont un effet dissuasif sur le développement de nouveaux marchés au Canada.
Malgré ces données, on ne perçoit pas de réelle volonté de la part des provinces de remédier aux méfaits du protectionnisme provincial.
Il est naturel que les provinces exercent leur droit de mettre en œuvre leurs propres politiques publiques. C’est un principe fondamental du fédéralisme. Chaque province a la liberté, dans ses domaines de compétence, de se gouverner comme elle l’entend. Les provinces rivalisent également pour attirer les investissements privés et pour protéger les entreprises sur leur territoire ou même leurs sociétés d’État qui rapportent des revenus au gouvernement. C’est une vision défensive du développement économique.
Par exemple, dans ses exceptions, le Québec exige que le bois récolté sur le territoire public, incluant la biomasse, soit entièrement fabriqué au Québec. Ceci est légitime, mais peut aussi avoir des effets pervers en ne favorisant pas la concurrence.
L’Ontario a également dans ses exceptions un règlement qui stipule qu’une personne doit avoir résidé au moins 12 mois en Ontario avant de pouvoir obtenir un permis pour récolter du riz sauvage sur les terres de la Couronne…
De nombreux facteurs peuvent expliquer ce protectionnisme interprovincial, mais est-il nécessaire d’avoir toutes ces exceptions qui rendent le commerce à l’intérieur du Canada aussi difficile que l’obtention du fameux pass A38 dans la « maison qui rend fou » d’Astérix ?
Le gouvernement fédéral n’a qu’un pouvoir limité sur le commerce interprovincial. Cela se résume essentiellement à une question de leadership et de mobilisation. Plusieurs ministres fédéraux se sont penchés sur la question au fil des années. Ils se sont tous heurtés à la bonne volonté – ou à la réticence… – des provinces et des territoires.
Depuis 2017, il existe un Accord de libre-échange canadien, négocié entre le gouvernement fédéral, toutes les provinces et tous les territoires. En principe, il s’agit d’une évolution encourageante visant à améliorer le commerce au sein du Canada. Mais peu de progrès sont réalisés sur le terrain… et les entreprises continuent de dénoncer la situation.
Dans son bulletin scolaire, la FCEI n’accorde qu’une seule note A à une seule province (le Manitoba). Il met en lumière les efforts de l’Alberta, qui s’est lancé dans une révision complète de ses exceptions à l’Accord, et ceux du gouvernement fédéral (qui navigue dans les limites de ses capacités).
Le Québec obtient le pire score, avec 36 exceptions à l’Accord, tandis que l’Ontario en compte 23.
De toute évidence, la suppression des barrières au commerce intérieur du Canada n’atténuerait pas complètement les effets d’éventuels tarifs douaniers américains.
Il faudra aussi continuer à exporter nos produits et services partout dans le monde, car la population canadienne n’est pas assez nombreuse pour pouvoir acheter tout ce qui vient d’ici.
Mais nous avons vu avec la pandémie comment les chaînes d’approvisionnement mondiales peuvent dérailler du jour au lendemain. Et nous voyons aujourd’hui à quel point les menaces de hausses tarifaires ébranlent les colonnes du temple de l’économie canadienne.
Le temps est venu de corriger la situation et de promouvoir un véritable libre-échange au Canada. Ce sera bon pour nos entreprises, pour les travailleurs, pour les consommateurs et pour l’économie canadienne.