Que ce soit parmi les médecins ou les pharmaciens, les professionnels du suivi des addictions pointent un manque de formation sur ce sujet, pourtant nécessaire comme le démontrent les chiffres.
« La soumission chimique n’est pas un fait divers, c’est un problème de santé publique. Il faut former les professionnels de santé pour qu’ils soient sensibilisés à ce problème et qu’ils soient capables d’apporter une réponse lorsqu’une victime se confie à eux. » Leïla Chaouachi est pharmacienne au Centre d’addictovigilance de Paris et rapporteuse de l’enquête « Soumission chimique » auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament. Réalisée en 2021, son rapport a répertorié 727 déclarations suspectes cette année-là. Soit 82 cas de soumission chimique probable, 354 cas de soumission chimique possible et 291 cas de vulnérabilité chimique.
La soumission chimique est, selon la définition du centre d’addictovigilance, « l’administration à des fins criminelles (viols, actes de pédophilie) ou délictueuses (violences volontaires, vols) de substances psychoactives (SPA) à l’insu de la victime ou sous la menace », tandis que la vulnérabilité chimique fait référence à « l’état de fragilité d’une personne induit par la consommation volontaire de SPA la rendant plus vulnérable à un acte criminel ou délinquant ».
Des médicaments faciles à trouver
Quand on parle de soumission chimique, la première drogue qui vient à l’esprit est souvent le GHB, mais d’autres substances, comme les benzodiazépines ou les antihistaminiques, peuvent également être utilisées. Des médicaments que l’on peut trouver dans l’armoire à pharmacie familiale, dont l’accès est assez simple, comme expliqué dans Libérer Caroline Darian, dont la mère a été violée pendant plusieurs années par son mari et des dizaines d’autres hommes alors qu’elle était inconsciente – une affaire qui a mis en lumière la question de la soumission chimique.
Pourtant, le phénomène reste méconnu d’une partie du corps médical. Romane (1) a 24 ans. Cette année, elle va obtenir son diplôme d’école de pharmacie et devenir pharmacienne. « Je n’ai jamais entendu parler de soumission chimique.elle dit. Je pense qu’il serait bon de faire une formation sur ce sujet pour savoir comment orienter les personnes qui pourraient avoir besoin d’aide.” A Fréjus, Marine (1), 27 ans, est pharmacienne diplômée. « Je connais la soumission chimique, mais pas grâce à mes études. J’ai des amis dans la police qui m’ont parlé de ces situations. »
A ce sujet, Leïla Chaouachi développe : « Si une victime se rend chez un professionnel de santé pour signaler ce qui lui a été fait, il faut qu’il puisse l’orienter vers les bonnes structures, lui donner les bons conseils et réaliser les bons examens. Ce qui n’est pas possible s’il prend connaissance du sujet au moment où la victime lui en parle. » Au-delà d’un module en formation initiale au moment des études, selon le pharmacien, une formation continue est nécessaire pour que les soignants soient tenus informés des structures et des réactions à avoir. « L’idée est de sensibiliser au problème, de former les gens à réagir, mais aussi de déconstruire les préjugés. Si on pense que ça n’arrive qu’aux jeunes, on ne posera pas la question aux plus âgés, par exemple. » Ce dernier a déjà animé plusieurs ateliers, mais « Ces formations ne sont pas suffisamment déployées et systématisées. Il faut leur donner les moyens de se développer. »
« Le plus important est d’oser parler de sexualité avec les patients »
Au Collège des médecins généralistes de France, les praticiens rédigent des aides pratiques sur la violence et les troubles addictifs. « Nous avons élaboré un livret dans lequel nous discutons des cas de soumission chimique, affirme Maxime Pautrat, médecin généraliste et membre du groupe de travail sur les violences sexuelles et les substances psychoactives au sein de l’Ordre. Le plus important est d’oser parler de sexualité avec les patients. Aborder la santé sexuelle en consultation doit avant tout être l’occasion d’explorer le consentement et peut révéler des situations de vulnérabilité chimique, par exemple. Mais cela peut s’avérer compliqué, car les patients ne sont pas forcément à l’aise. Il faut parfois poser la question plusieurs fois avant d’obtenir une réponse.
Au-delà de la formation des professionnels de santé, Leïla Chaouachi insiste sur l’importance d’être attentif, ne serait-ce qu’en tant que citoyen. « Nous constatons que dans les situations de vulnérabilité ou de soumission chimique, les abus peuvent être évités car la victime a été accompagnée tout au long de sa fragilité par un ami, un proche, voire un tiers. Il est donc très important que ce sujet soit mieux connu pour que nous sachions réagir de la bonne manière et que nous puissions réduire ces situations. »
(1) Le prénom a été changé.