C’C’est la fin d’une époque. Après les JO de Paris en 2024, l’équitation, composante du pentathlon moderne depuis les JO de Stockholm en 1912, ne figurera plus parmi les cinq épreuves avec la natation, l’escrime et le laser run, qui combine tir et course à pied. L’équitation sera remplacée par la course d’obstacles à pied.
Le pentathlon moderne, imaginé par le baron Pierre de Coubertin, avait pour vocation de forger le soldat idéal. Il devait incarner les multiples compétences d’un officier militaire du XIXe siècleet siècle, ce sport a traversé les âges en s’adaptant continuellement.
« L’idée de base n’était pas mauvaise, mais elle est aujourd’hui dépassée. Beaucoup de choses ont changé depuis la création des Jeux olympiques et il est normal que certaines pratiques évoluent, disparaissent ou soient remplacées. L’épreuve d’équitation du pentathlon a connu ses heures de gloire. Beaucoup de gens en ont profité et il n’y a rien à regretter. Tourner la page me semble être une sage décision », confie Pierre Defrance, propriétaire du domaine équestre de Sandillon dans le Loiret, entraîneur du cavalier pakistanais Usman Khan et oncle de Karim Laghouag, champion olympique de concours complet par équipes.
Une règle établie pour montrer l’adaptabilité d’un pentathlète
L’épreuve d’équitation consiste en un parcours de 10 obstacles sur une longueur de 350 à 400 mètres à réaliser le plus rapidement possible. Une grande inconnue pour le candidat : le cheval sur lequel il concourt est tiré au sort. Il apprend son nom et le découvre une vingtaine de minutes avant le départ. Les juges lui indiquent le nombre d’utilisations de la cravache tolérées.
Le cheval est un être vivant et sensible. Il n’est pas matériel.Fanny Delaval
« Cette règle a été établie pour montrer la capacité d’adaptation d’un pentathlète. Forcément, ce principe crée une part d’incertitude propre à ce sport. Les espoirs d’un bon résultat peuvent être réduits à néant en l’espace de quelques secondes », précise la Fédération française de pentathlon sur son site. Chacun a ses techniques pour faire avancer le cheval. Pour créer une connexion avec l’animal, Marie Oteiza, cavalière réputée, dit lui parler et lui renifler les narines.
Son entraîneur frappe brutalement la croupe du cheval
Un cheval qui refuse d’avancer est pénalisé de dix points. L’épreuve d’équitation du pentathlon moderne doit mettre en valeur les qualités du cavalier, capable de s’adapter à un cheval inconnu et d’établir avec lui une relation harmonieuse. Pour y parvenir, il faut entrer dans le mouvement du cheval, épouser son rythme sans s’y opposer.
Unir les énergies des deux partenaires ne s’improvise pas. Aux JO de Tokyo, la candidate allemande Annika Schleu, pourtant bien placée pour remporter l’or, s’est vue confier Saint Boy, un cheval récalcitrant. Incapable de créer les conditions nécessaires à une communication fluide avec l’animal qu’elle venait de rencontrer, la cavalière a enchaîné les erreurs et a eu recours aux coups de fouet et aux éperons. De retour aux vestiaires, son entraîneur a brutalement frappé la croupe du cheval.
Même si ce type de réaction est rare, cet incident a précipité le changement d’épreuve du pentathlon. « Le cavalier est éliminé parce que le cheval a probablement eu peur et a été fatigué. Le cheval est un être vivant, sensible. Ce n’est pas un équipement. Quand un vélo déraille, ce n’est pas compliqué de remettre la chaîne. Mais, avec un cheval, quand ça ne va pas, on ne peut pas aller contre », explique Fanny Delaval, conseillère technique nationale en para-dressage.
Dans cette discipline, avant les JO d’Athènes en 2004, des chevaux étaient proposés par l’organisation. « On pouvait dessiner un cheval qui ne permettait pas de mettre en valeur son talent. » Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Utiliser le cheval comme un vélo
Le remplacement de l’épreuve d’équitation par le parcours d’obstacles a été largement approuvé, même si 20 % des personnes souhaitaient son maintien, souvent celles qui pratiquent encore ou ont des proches dans ce domaine.
« Les puristes équestres n’apprécient plus cette façon de travailler », analyse Pierre Defrance. Trop de gens ordinaires utilisent les chevaux comme des vélos. L’équitation, dans le contexte actuel du pentathlon, a perdu de sa valeur. Rassembler des chevaux devenait très compliqué. Souvent, ils ne sont pas adaptés aux épreuves. Je comprends dans l’absolu pourquoi le monde équestre n’a pas défendu ce projet. Aujourd’hui, il existe des activités équestres qui sont beaucoup plus agréables à regarder. S’il fallait supprimer quelque chose, il était logique que ce soit cet événement. Il ne reflétait plus beaucoup l’esprit équestre. Une relation avec un cheval se construit au fil du temps.
J’ai monté des chevaux qui refusaient de sauter parce qu’ils n’étaient pas habitués à la compétition.Mathis Rochat
Fanny Delaval acquiesce : « Si un couple homme-cheval devenait complice et efficace en deux ou trois jours, cela se saurait. On sait que cela demande des mois, voire des années de travail. C’est toute une complicité et des codes à mettre en place. »
Les courses à obstacles créent de l’émulation
Mathis Rochat, pentathlète, champion du monde des moins de 22 ans 2023, incarne la jeune génération. Il pointe du doigt le manque d’accessibilité de l’équitation et la maltraitance animale : « Quand j’ai commencé le pentathlon en pôle jeunes, il me fallait trente minutes pour me déplacer pour pratiquer l’équitation. Imaginez le temps que cela prend pour ceux qui n’ont pas la chance de s’entraîner dans une structure spécialisée. »
« J’ai monté des chevaux qui refusaient de sauter parce qu’ils n’étaient pas habitués à la compétition, poursuit-il. Lorsqu’ils arrivent en piste (piste en sable), ces chevaux sont perturbés par le regard des gens, le silence oppressant, le bruit des cloches. Le stress est palpable pour le cavalier car les pentathlètes ne sont souvent pas à la hauteur de l’épreuve. »
Avec le parcours d’obstacles, c’est complètement différent. « Les concurrents partent côte à côte, le public encourage de toutes parts, explique Mathis Rochat. Cela crée une émulation qui est absente dans l’équitation. L’athlète est maître de son destin car il ne dépend pas d’un cheval tiré au hasard. Cela nous pousse aussi à nous entraîner différemment. Désormais, on passe beaucoup plus de temps en salle, à travailler au poids du corps, à faire des tractions et à inventer de nouveaux exercices. Cela apporte une fraîcheur à une discipline qui, jusqu’à présent, restait ancrée dans l’image de Coubertin d’il y a 130 ans. »