Si la récolte de médailles réjouit le coeur des Français, celle du blé donne des cauchemars aux céréaliers. Dans les champs, les moissonneuses-batteuses tournent encore à plein régime ces jours-ci pour tenter de terminer une récolte annoncée officiellement comme “l’une des plus faibles récoltes des 40 dernières années”, a rapporté vendredi le service des statistiques du ministère de l’Agriculture (Agreste).
Selon l’outil de suivi FranceAgriMer, les vendanges n’étaient réalisées qu’à 67% au 29 juillet en France métropolitaine, contre 86% à la même date en 2023. Les orages de la semaine dernière, s’ajoutant au retard déjà pris, n’ont fait qu’enliser davantage la situation.
Des pertes à six chiffres
La production est estimée à 26,3 millions de tonnes selon les chiffres du gouvernement, en baisse de 23,9% par rapport à la moyenne des cinq dernières années. Pour retrouver un niveau similaire, il faut remonter à la fin de la guerre froide, en 1987. Le seuil symbolique des 27,6 millions de tonnes produites en 2016, année noire dans l’esprit des producteurs de céréales, devrait être franchi.
Une estimation récente d’Argus Media a même fait état d’une production de blé tendre encore plus spectaculaire, prévoyant une baisse de la production allant jusqu’à 27 %.
Dans certaines exploitations, le manque à gagner se chiffre en dizaines de milliers d’euros. Pour Eric Thirouin, le président des producteurs céréaliers français, les pertes pourraient même dépasser les six chiffres dans les exploitations.
L’alternance de pluies torrentielles, de manque d’ensoleillement et de ravageurs des cultures au début de la production en août 2023 s’est aggravée au fur et à mesure de l’avancée de la saison. « L’année a d’abord été marquée par des pluies régulières et continues du semis à la récolte (+40% en moyenne en France par rapport aux 20 dernières années), puis par une forte pression des adventices [mauvaises herbes NDLR] et des maladies, et enfin par une baisse de la radiation touchant une grande partie du territoire (-7% en moyenne en France par rapport aux 20 dernières années et jusqu’à -15%)”, explique Jean-Pierre Cohan, directeur recherche et développement d’Arvalis.
Mais le blé n’est pas la seule céréale touchée. Les orgues et l’orge sont en baisse de plus de 15% selon les dernières estimations.
Du côté des oléagineux, la production de pois, féveroles et lupins devrait également chuter de 23% par rapport à l’an dernier. “Dans le nord et l’ouest de la France, les pertes atteignent jusqu’à 60% de la production”, explique Benjamin Lammert, président de la Fédération française des producteurs d’oléoprotéagineux et de protéagineux.
900 000 hectares de blé tendre en moins
Parmi les principales grandes cultures de l’Hexagone, seul le colza semble avoir limité les dégâts. “Il n’y a pas eu de baisse des surfaces semées en août 2023”, souligne Arthur Portier du cabinet Argus Media. Problème : le rendement à l’hectare est en chute libre comme pour les céréales.
Le blé a d’abord souffert de la réduction des surfaces ensemencées : « Il y a eu un manque à gagner de 900 000 hectares par rapport à 2016, ce qui a entraîné une récolte encore plus mauvaise », explique Argus Media. L’Agreste est plus optimiste et évalue la réduction à 533 000 hectares.
🌾 Argus Media estime la production de blé tendre en France en 2024 à 25,17 Mt, soit le niveau le plus bas depuis 1983.
Rendement 59,33 q/ha soit -18,7% vs moyenne quinquennale et 53,74 q/ha en 2016.@ArgusMedia #blé pic.twitter.com/rimKgTQZ9k— Agritel – Argus Agriculture (@agritel_argus) 6 août 2024
Faibles rendements
Et au-delà des superficies, les rendements à l’hectare ont eux aussi sensiblement diminué. Ils sont tombés à 5,93 tonnes par hectare, contre 7,38 tonnes en 2023, selon les estimations d’Argus Media. Sur ce point, le gouvernement se montre également plus optimiste, avec une estimation de 6,24 tonnes par hectare.
Des chiffres bien loin de ceux de 2016, avec seulement 5,4 tonnes par hectare, le niveau le plus bas enregistré depuis un siècle. Selon Argus Media, les rendements en blé tendre inférieurs à 6 hectares par tonne avaient disparu en France depuis la fin des années 1980.
Mais le changement climatique apporte son lot de complications dans les champs. Des conditions météorologiques défavorables ont contraint les producteurs à ne plus pouvoir demander de produits phytosanitaires à des stades clés des cultures. Conséquences : des insectes en plus grande quantité et des mauvaises herbes venant concurrencer les plantations.
Tous ces facteurs ont également affecté la qualité des récoltes. Euronext fixe une qualité minimale pour le blé meunier, dite qualité PS, de 76 kg/hectolitre. En bref : la bourse européenne fixe une quantité maximale d’impuretés dans le blé par unité de volume pour pouvoir le vendre, notamment à l’international.
“Avec les orages intempestifs, les pluies de juillet, cela a fait chuter le taux de PS à 74 kg/hectolitre”, souligne Arthur Portier. Tri supplémentaire en perspective dans les tonnes récoltées dans l’espoir d’assurer des ventes à l’international.
Un rayonnement international
Mais les récoltes abondantes dans d’autres grands pays exportateurs comme les Etats-Unis ou la Russie – qui a également vu sa production baisser cette année – poussent les prix du marché à la baisse. Le prix du blé tendre a atteint son plus bas niveau depuis quatre ans.
« Pour l’industrie française, nous ne devrions pas avoir de difficultés à nous approvisionner en blé français », estime Jérémy Denieuille, spécialiste de la géopolitique de cette céréale. Mais les quantités exportées devraient connaître une baisse significative.
« L’an dernier, nous avons exporté un peu moins de la moitié de la production française », explique-t-il. Le spécialiste précise que cela représentait un peu plus de 16 millions de tonnes, soit 6,2 millions vers l’Union européenne et 10,1 vers les pays tiers. Mais cette année, les prévisions misent plutôt sur 6,6 millions de tonnes pour l’UE et 4,3 millions pour les autres.
Des clients emblématiques comme l’Egypte, l’Algérie et le Maroc ont déjà commencé, cet été, à lancer des appels d’offres pour assurer leurs approvisionnements en blé, lorgnant notamment vers l’Ukraine et la Russie.
« Compte tenu des coûts de production, un agriculteur français doit vendre la tonne entre 220 et 240 euros la tonne pour atteindre l’équilibre », explique Jean-François Loiseau, président de l’interprofession Intercéréales. Au 9 août, la tonne de blé se négocie autour de 220 euros la tonne selon les cours d’Euronext, son prix n’ayant pas atteint 230 euros depuis le 1er juillet 2024.
Les agriculteurs devront rapidement reconstituer leur trésorerie en prévision des semis d’octobre.