Lundi, pour me sortir du tourbillon des chiffres de la rentrée, j’ai lu la série d’été de Devoir consacré au logement. En fait, il pose une question intéressante : êtes-vous bien chez vous ? Sans surprise, en pleine crise du logement, l’inquiétude domine les articles.
C’est encore le cas cette semaine, comme l’indiquent les titres : « J’aime mon quartier, mais mon quartier ne m’aime pas » et « On peut tout perdre en un clin d’œil ». Les textes qu’ils reprennent trouvent également un écho, puisqu’ils sont devenus les plus populaires sur le site du quotidien depuis leur parution.
Mais les inquiétudes des personnes interrogées vont bien au-delà de la question du logement. Ces rapports évoquent les défaillances des transports publics, la transformation des commerces de proximité, la difficulté d’accès à un médecin de famille… et vont jusqu’à aborder le changement climatique ou les conflits en Ukraine et à Gaza.
Mais heureusement, il y a… Kamala. « Je suis tellement heureuse, c’est un soulagement », comme le dit un locataire, parlant de l’arrivée inattendue de Kamala Harris dans la course à la présidence américaine.
Depuis, cette phrase ne m’a plus quitté, tant elle reflète ce que j’entends autour de moi.
Cela peut être vu comme l’effet de l’énorme attention médiatique accordée à M.moi Harris — un point essentiel, car la présidence de notre puissant voisin a un tel impact sur les affaires mondiales.
On peut aussi y lire une autre manifestation de l’américanisation des esprits. Car pour certains, de ce côté-ci de la frontière, les bouleversements de la vie sociale, culturelle et politique des États-Unis, voire de son histoire, sont de plus en plus vécus comme s’il s’agissait des nôtres. Ce qui est aussi agaçant que trompeur.
Je crois cependant que ce qui ressort des conversations quotidiennes n’est ni une analyse politique ni une identification déplacée. Le soulagement exprimé est plutôt le constat rassurant qu’il est encore possible de sourire dans ce monde tourmenté.
Tim Walz a parfaitement résumé la situation : « Merci d’avoir ramené la joie », a-t-il déclaré à Kamala Harris lorsqu’elle l’a présenté comme son colistier, et donc vice-président potentiel, lors d’un rassemblement du Parti démocrate début août.
Prise strictement, la formule souligne à quel point Mmoi Harris représente la version lumineuse du Donald Trump maussade et colérique qui domine la scène publique américaine depuis près d’une décennie — depuis qu’il a annoncé pour la première fois son désir de devenir président en juin 2015.
La joie peut aussi être synonyme du dynamisme renouvelé du Parti démocrate après les échecs publiquement embarrassants du président actuel, Joe Biden, qui, pour cette raison, a dû renoncer à se présenter à sa réélection.
Kamala Harris profite elle aussi de la lune de miel à laquelle elle a droit, comme beaucoup de nouveaux visages politiques avant que leur étoile ne pâlisse. Femme, noire et méconnue, car dans l’ombre de Biden à la vice-présidence, elle devrait susciter l’enthousiasme encore un peu, tant son caractère se démarque. La convention démocrate qui se déroule cette semaine à Chicago en est une démonstration flamboyante.
Il me semble cependant que la joie évoquée par Tim Walz est d’un autre ordre, qu’elle transcende le positionnement particulier de Kamala Harris parmi les acteurs de la scène politique.moi Harris offre en effet le visage, désormais rare, d’un être heureux de son sort, conscient des responsabilités à assumer sans s’en assombrir, et prêt à se battre sans pour autant se victimiser. C’est remarquable dans nos sociétés où non seulement « tout le monde est malheureux », comme le chantait autrefois Gilles Vigneault, mais surtout le proclame. Malheur à celui qui ne souffre pas ou garde son malheur pour lui !
Sous couvert de bienveillance, ce climat d’hommage aux victimes ajoute à la lourdeur du monde. En réalité, notre monde traverse de nombreuses turbulences, mais on oublie qu’il s’agit là d’une constante de l’histoire, où les guerres, les catastrophes et les revers sociaux et économiques sont la norme entre les périodes de calme.
Mais vivre doit être autre chose que grogner sous le poids des problèmes collectifs ou personnels ; autre chose que chercher des boucs émissaires pour les expliquer. Même le pire du quotidien a ses moments de légèreté, et y aspirer est ce qui fait de nous des êtres profondément humains, ce qui nous permet aussi de rester connectés les uns aux autres.
Garder le sourire dans l’adversité est donc une forme de politesse envers autrui. Nous l’avons perdu de vue dans l’espace public, comme en témoignent la virulence des débats politiques dans de nombreux pays ainsi que les tensions qui caractérisent désormais les échanges quotidiens.
C’est pourquoi, au-delà des prises de position de Kamala Harris, regarder sa campagne alors qu’elle semble profiter pleinement du moment est si agréable. Aussi agréable qu’entendre un plombier siffler en travaillant ; aussi agréable que de regarder un chef peaufiner la présentation d’une assiette ; aussi agréable que d’être accueilli par le brigadier scolaire quand on n’a pas d’enfants ; aussi agréable que d’être entouré de collègues qui partagent des muffins faits maison !
Cela ne dit rien sur les compétences professionnelles de chacun, mais révèle tout sur leur désir d’adoucir la vie. Vu l’excès de mauvaise humeur et d’apitoiement sur soi-même qui règne de nos jours, c’est largement suffisant pour l’apprécier, et même pour s’en sentir soulagé !