Depuis plus de 50 ans, Hydro-Québec bénéficie d’un contrat fantastique : elle achète l’électricité de la centrale de Churchill Falls, au Labrador, à 0,2 cent le kilowattheure et la revend à ses clients 15, 20, 25 fois le prix.
Mais toutes les bonnes choses ont une fin : ce contrat expirera en 2041. C’est-à-dire demain, alors qu’on sait qu’il faut une quinzaine d’années pour étudier, approuver et construire une nouvelle centrale, dans l’éventualité où Hydro ne pourrait plus compter sur les 4 765 mégawatts (sur une capacité de 5 428) provenant de ce complexe situé sur le fleuve Churchill. Car il est loin d’être certain que Terre-Neuve renouvellera ce contrat, qu’elle a contesté 17 fois devant les tribunaux, dont 3 fois devant la Cour suprême sans succès.
Hydro-Québec souhaite rénover la centrale et son réservoir pour en augmenter la capacité. Elle aimerait aussi construire un barrage en aval sur la même rivière, à Gull Island, qui offrirait un potentiel de 2500 mégawatts, soit presque le double du complexe de la Romaine.
François Legault s’est confié sur les intentions du Québec en septembre dernier. « Montrez-nous l’argent », lui a répondu son homologue terre-neuvien, Andrew Furey. C’est peu dire que Terre-Neuve négociera fort cette fois-ci.
Hydro-Québec fait son entrée au Labrador en 1963. En acquérant Shawinigan Power, elle obtient 20 % des actions de Churchill Falls (Labrador) Corporation (CFLCo). À l’époque, personne ne veut de l’électricité de Terre-Neuve, pas même Hydro. « Trop loin, trop gros, trop cher », résume Daniel Larouche, économiste et coauteur de Québec : Un siècle d’électricité (Libre Expression, 1979).
En 1969, Hydro signe enfin un contrat : elle assume tous les risques financiers et techniques de la construction de la centrale et s’engage à acheter la quasi-totalité de sa production. La facture : 1 milliard de dollars, soit 8,4 milliards de dollars d’aujourd’hui. En échange, Terre-Neuve s’engage à vendre l’électricité à un prix correspondant aux coûts de l’époque. Et surtout, elle accepte un prix fixe, non indexé sur l’inflation. Les Terre-Neuviens sont vite désillusionnés : la crise énergétique des années 1970 fait exploser les prix de l’électricité.
Si Terre-Neuve refuse de renouveler le contrat en 2041, Hydro-Québec devra abandonner les 4765 mégawatts de Churchill Falls, qui répondent de 12 à 15 % des besoins en électricité du Québec. Et tout le potentiel du fleuve Churchill lui échappera, tandis que l’électrification des transports fera exploser la demande québécoise, explique l’avocat et ancien ministre libéral de l’Énergie Pierre Moreau. « Quant à Terre-Neuve, dit-il, elle se retrouverait avec une capacité de production qui dépasse largement ses besoins intérieurs. »
Si Terre-Neuve accepte de renouveler le contrat en renégociant les tarifs, l’approvisionnement en électricité sera assuré, mais les Québécois paieront nettement plus cher. En supposant que Terre-Neuve obtienne 25 fois le prix actuel — indexable ! —, la facture d’électricité augmenterait de 10 à 15 %. Sans compter une possible compensation pour les Innus de Terre-Neuve — qui poursuivent Hydro-Québec pour 4 milliards $.
Selon l’économiste Daniel Larouche, la technologie des transports et le marché actuel de l’énergie permettent de négocier un contrat beaucoup moins rigide, avec des modulations du prix et des volumes échangés. « Cette flexibilité, dit-il, serait à l’avantage des deux parties. »
Quelle que soit l’issue de la transaction, Hydro-Québec a un atout dans sa manche : elle est copropriétaire de CFLCo (avec maintenant 34,2 %), ce qui lui donnera droit à un tiers des profits de la future entente. Un joli rabais!