Autant le dire d’emblée : il s’appelait Minot, Raoul Minot, et une telle vie mérite d’être mise en lumière. Il nous a fallu près de quatre ans pour l’identifier, quatre ans à explorer diverses pistes, à tout envisager, y compris à renoncer. Mais c’est désormais une certitude : cet homme, né le 28 septembre 1893 à Montluçon, dans le centre de la France, était bien le mystérieux photographe de 700 photos – la plupart datées, numérotées, commentées – prises à Paris et dans sa banlieue, au péril de sa vie, entre 1940 et 1942. C’est un fonds exceptionnel, peut-être le plus riche côté français – hors propagande – sur les deux premières années de l’Occupation.
Minot donc. Photographe amateur, pas professionnel. Il a décidé de témoigner à sa manière, au jour le jour, au gré de ses déambulations dans la capitale. L’énormité de sa production – près de 1 300 tirages, multiples compris – la rend unique, totalement différente de celle de professionnels comme Roger Schall ou Robert Doisneau, dûment accrédités par les autorités. Minot, lui, n’a pas d’employeur dans la presse, et échappe à tout contrôle. Un fantôme dans l’ombre des Allemands.
L’histoire de la sortie de l’anonymat de son nom mérite d’être racontée. C’était le 12 avril 2024, un vendredi. Ce jour-là, l’enquête lancée par Le monde Près de quatre ans plus tôt, à partir d’un étrange album photo trouvé dans une brocante du sud de la France, le projet semblait enlisé. Certes, des progrès avaient été réalisés et il y avait eu quelques bonnes surprises, mais l’énigme centrale – l’identité du photographe – restait entière.
Avant d’abandonner, nous avons voulu jeter un dernier coup d’œil sur les informations que nous avions glanées sur la seule femme de l’histoire : Renée Damien (1909-1990), vendeuse au rayon parfumerie d’un grand magasin parisien, Le Printemps, à l’aube des années 1940. C’est grâce à elle qu’un petit nombre de clichés (117) ont pu être préservés avant d’être sauvés de l’oubli en 2018, dans la région de Chartres, grâce à la ténacité d’un passionné d’histoire, Albert Hude. Il a recueilli auprès du fils de Renée Damien – un homme âgé à la mémoire chancelante – de premières informations biographiques sur la vendeuse du Printemps, ainsi qu’une piste intrigante mais incomplète : selon le vieil homme, aujourd’hui décédé, l’auteur de ces 117 photos était un ami de sa mère dont il ignorait le nom ; arrêté par les Allemands, cet inconnu est mort en déportation, sans laisser de traces. A-t-il lui aussi travaillé au Printemps ? Cette théorie, déjà envisagée lors de l’enquête, méritait une dernière vérification dans les archives du magasin, à la recherche d’informations sur la période 1940-1942.
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