Karl Bélanger a travaillé pendant près de 20 ans sur la Colline parlementaire à Ottawa, notamment comme attaché de presse principal de Jack Layton et secrétaire principal de Thomas Mulcair. Il a ensuite été directeur national du NPD avant de mettre fin à sa carrière politique à l’automne 2016. En plus d’agir comme commentateur et analyste politique à la télévision, à la radio et sur le Web, Karl est président de Traxxion Strategies.
Pour un premier ministre qui faisait face cette semaine à la possible chute de son gouvernement, Justin Trudeau ne semblait pas particulièrement inquiet.
Il a passé quelques jours à New York pour l’ouverture du débat général du 79e session de l’Assemblée générale des Nations Unies. Serein, le leader libéral a même profité de son séjour dans la métropole américaine pour participer à l’émission Le Late Show avec Stephen Colbert, une plateforme unique inaccessible à ses adversaires.
En effet, il savait pertinemment que le gouvernement survivrait à ce vote demandé par les conservateurs, le premier depuis que Jagmeet Singh a déchiré l’accord qui liait le NPD au gouvernement libéral.
À partir du moment où le Bloc québécois a annoncé qu’il n’appuierait pas la motion de censure déposée par le Parti conservateur, imitée par le NPD le lendemain, le risque de voir le pays se précipiter vers des élections anticipées était devenu nul. N’en déplaise à François Legault, le gouvernement Trudeau reste fermement en selle… sans avoir à négocier quoi que ce soit avec les autres partis. Pour l’instant.
Ce n’était que le premier d’une série de tests pour le gouvernement Trudeau. La Chambre devra voter rapidement une motion permettant le dépôt du projet de loi visant à augmenter l’impôt sur les plus-values. Une mise à jour économique est attendue cet automne, ce qui pourrait conduire à davantage de votes de confiance. Les conservateurs auront également quatre autres occasions de déposer des motions au cours des prochaines semaines. Il faudra voir s’ils veulent persister dans cette tactique, comme ils l’ont annoncé cette semaine.
Pour les conservateurs, cela présente des avantages et des inconvénients. Les Canadiens semblent avoir le goût du changement et le Parti conservateur profite de ce désir. Soulignant qu’ils permettent au gouvernement de rester en place, Pierre Poilievre n’a aucun problème à mettre le Bloc et le NPD dans le même bateau que le Parti libéral et à en faire des obstacles au changement. La logique est implacable.
Le revers de la médaille est que chaque motion de censure rejetée démontrera l’incapacité des conservateurs à remporter ces élections parlementaires et soulignera largement l’inefficacité de leur approche. Les électeurs pourraient se lasser de voir un parti qui semble obsédé par la quête du pouvoir. Chaque vote de confiance se traduira par une médiatisation de l’instabilité des Communes, provoquée par l’entêtement des conservateurs à tenter de faire tomber les libéraux sans y parvenir.
S’il voulait vraiment réussir, Pierre Poilievre se ménagerait avec le Bloc québécois et le NPD. Pour l’instant, ses attaques ne convaincront pas les deux autres partis d’opposition de changer de ton. L’approche du chef conservateur est à l’opposé de celle utilisée à l’époque par Stephen Harper, lorsqu’il voulait mettre fin au règne de Paul Martin. Les discussions entre Stephen Harper, Gilles Duceppe et Jack Layton (dont j’étais alors conseiller) ont été très cordiales.
Évidemment, le contexte n’est plus le même aujourd’hui. Les conservateurs n’étaient pas en tête de 20 points dans les sondages de 2005. Autre différence : aujourd’hui, il n’y a pas de scandale des commandites qui puisse faire sombrer le gouvernement libéral.
Le chef bloquiste Yves-François Blanchet a ouvert la porte à une éventuelle discussion avec les conservateurs en posant cartes sur table concernant l’avenir du gouvernement Trudeau. Les demandes sont limitées, elles sont simples, elles sont claires et elles ont un délai précis. Les libéraux ont jusqu’au 29 octobre pour s’y conformer : une fois en vigueur, le projet de loi C-319 augmenterait les pensions des personnes âgées de 65 à 74 ans et le projet de loi C-282 les exclurait. gestion de l’offre de toute négociation commerciale future.
En plus d’être claires, les revendications du Bloc lui permettent de gagner sur les deux tableaux. D’une part, les gains que l’on peut tirer d’un gouvernement affaibli sont faciles à comprendre pour les électeurs. En revanche, le délai serré exerce une pression sur les autres partis : soit le gouvernement libéral répond rapidement aux demandes, permettant au Bloc de crier victoire ; soit le NPD se retrouve bloqué après le 29 octobre, contraint de choisir entre déclencher des élections (où le parti risquerait gros dans le contexte actuel) ou soutenir un gouvernement de plus en plus impopulaire sans obtenir en retour des concessions substantielles.
Le Bloc sait très bien que les libéraux sont mécontents de l’abandon de l’accord par Jagmeet Singh. La confiance ne règne plus entre les alliés d’antan, et le Bloc compte bien en profiter. Si les libéraux accèdent aux revendications avant le 29 octobre, le Bloc pourra alors jouer à nouveau la carte du rapport de force pour réaliser de nouveaux gains d’ici la présentation du budget du printemps.
Toutes ces considérations illustrent qu’en rompant l’accord de soutien et de confiance entre le gouvernement libéral et son parti, Jagmeet Singh a ouvert les hostilités électorales… et la saison des absurdités parlementaires. On l’a bien vu lorsque le chef du NPD a perdu son sang-froid et affronté des manifestants à l’extérieur du Parlement, avant de faire la même chose contre Pierre Poilievre aux Communes.
On l’a encore vu mercredi, lorsque Justin Trudeau a dénoncé des insinuations homophobes qu’il a entendues lors de la période des questions et qui a failli se faire expulser par le président de la Chambre, Greg Fergus.
Dans cette ambiance de fin de règne où tout est permis, il est pour le moins inapproprié d’avoir en poste un président avec peu de contrôle et d’autorité pour tenter de civiliser un peu les débats…
L’automne risque d’être long !