Karl Bélanger a travaillé pendant près de 20 ans sur la Colline parlementaire à Ottawa, notamment comme attaché de presse principal de Jack Layton et secrétaire principal de Thomas Mulcair. Il a ensuite été directeur national du NPD avant de mettre fin à sa carrière politique à l’automne 2016. En plus d’agir comme commentateur et analyste politique à la télévision, à la radio et sur le Web, Karl est président de Traxxion Strategies.
Les conspirateurs libéraux qui tentent de renverser Justin Trudeau mettent non seulement le premier ministre dans une position difficile, mais nuisent également à leur propre avenir politique.
Lorsqu’un navire coule, la panique s’installe. Certains quittent le bateau, à l’image des quatre ministres qui ont annoncé leur départ la semaine dernière. D’autres, comme les naufragés, s’accrochent à tout pour éviter de se noyer.
Ce sont 24 députés libéraux, courageusement anonymes, qui ont signé une lettre secrète demandant à Justin Trudeau de se retirer. Rares sont désormais les noms méconnus qui lui sont associés. La lettre, qui aurait été lue mercredi lors de la réunion du caucus sur la Colline du Parlement, expose les arguments en faveur du départ de Justin Trudeau. Mais qui serait le sauveur ? Mystère et gumball.
Le document comprendrait une demande précise : que le Premier ministre prenne une décision concernant son avenir avant le 28 octobre, sinon… quoi ? Ce n’est pas clair.
Ainsi, dans le scénario des mutins, le premier ministre annoncerait son départ la veille de la date limite de l’ultimatum du Bloc québécois envers le gouvernement libéral, soit le 29 octobre (d’ici là, Yves-François Blanchet s’est engagé à ne pas contribuer à faire tomber le gouvernement). Si vous pensez que le chaos règne aujourd’hui…
On aurait donc un gouvernement sans chef permanent, en pleine course à la direction, avec deux partis (le Parti conservateur et le Bloc) qui militent ouvertement pour sa chute, et qui n’ont pour l’instant aucune assurance que le NPD le fera. répondre lors du prochain vote de confiance.
La démarche des rebelles semble vouée à l’échec. D’un côté, Justin Trudeau ne montre aucun signe de vouloir partir, il semble vouloir affronter Pierre Poilievre. Si la manœuvre le fait vaciller un peu, il ne tombera pas. Que 15 % du caucus étaient mécontents, c’était une petite journée pour Jean Chrétien !
En revanche, si par hasard Justin Trudeau partait, l’avenir ne serait pas rose. Même s’il y avait une prorogation pour éviter la chute du gouvernement lors de cette course, le nouveau premier ministre n’aurait pas le temps de s’installer à Rideau Cottage. Les jours d’un nouveau gouvernement libéral seraient comptés. Dès le discours du Trône, les partis d’opposition s’uniraient pour faire tomber le nouveau chef.
Et si les rebelles pensent que le NPD soutiendrait ce nouveau chef libéral, ils se trompent. Le NPD aurait intérêt à renverser le gouvernement le plus rapidement possible, pour éviter de lui laisser le temps de s’affirmer.
Cela dit, les rebelles resteront une épine dans le pied de Justin Trudeau. Ce sera particulièrement vrai si Kamala Harris parvient à battre Donald Trump à l’élection présidentielle américaine du 5 novembre. Cela prouverait qu’un changement de patron de dernière minute peut fonctionner, non ?
Peut-être pas.
Parce qu’il existe plusieurs différences majeures entre la situation ici et celle au sud de la frontière. Premièrement, le système américain est bipartisan. Il n’y a pas de Bloc québécois ni de NPD pour venir voler des votes au parti au pouvoir dans plusieurs circonscriptions clés.
Deuxièmement, au moment de l’annonce de son départ, Joe Biden accusait un retard de moins de cinq points dans les sondages, tandis que Justin Trudeau accusait un retard de 20 points en moyenne depuis le début de l’automne.
Troisièmement, qui est la Kamala Harris du PLC ? Chrystia Freeland? Mark Carney? Dominique LeBlanc? Christy Clark? Sean Fraser? Mélanie Joly? Le fait que les mutins ne s’organisent pas autour d’une candidature constitue une profonde faiblesse dans leur manœuvre. Pire, aucun des noms qui circulent ne semble susciter l’intérêt des électeurs.
Même si plusieurs de ces députés libéraux doivent leur carrière politique à Justin Trudeau, ils le voient désormais comme un fardeau. Les sondages parlent d’eux-mêmes. À leurs collègues qui voient une lumière au bout du tunnel, ils répondent que c’est le train Poilievre qui se dirige vers eux. Pour les mutins, la réponse est simple : n’importe qui pourrait faire mieux que Justin Trudeau à la tête du Parti libéral du Canada. Et pourtant.
Lorsqu’il annonce son départ en février 1993, Brian Mulroney accuse un retard de 28 points sur les libéraux de Jean Chrétien. Sans chef permanent, les progressistes-conservateurs reprennent le dessus dans certains sondages, Gallup leur accordant même 50 % des intentions de vote en avril 1993. N’importe qui ferait mieux que Mulroney, certainement ! Kim Campbell a remporté la course à la direction en juin, a déclenché des élections en septembre et, après une courte lune de miel politique, a chuté rapidement dans les sondages à 16 % des voix et seulement deux députés ont été élus lors des élections générales. Quelqu’un pense-t-il que Brian Mulroney aurait fait pire ?
Justin Trudeau a défié tous les pronostics et est revenu au score pour remporter trois élections consécutives. Beaucoup l’ont sous-estimé par le passé, pour leur grand malheur. Les mutins qui voient le navire couler veulent jeter le capitaine par-dessus bord car ils pensent que n’importe qui pourrait faire mieux. La vraie question devrait être : quelqu’un pourrait-il faire pire que Justin Trudeau ? Indubitablement.
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