L’auteur est médecin urgentiste. Professeur titulaire à l’Université de Montréal, il enseigne, participe à la recherche en médecine d’urgence et intervient fréquemment sur les enjeux de santé.
Avec les robots chirurgicaux, les technologies de modification génétique comme CRISPR, les biomarqueurs « omiques », la médecine de précision, les vaccins à ARN contre certains cancers et une multitude de domaines où la science et la technologie explosent de façon vertigineuse les possibilités, la médecine est en plein essor. Ces progrès promettent effectivement de transformer les soins, mais à quel prix ?
Portées par des réalisations concrètes ou du moins par des perspectives inspirantes, elles suscitent beaucoup d’espoir, mais soulèvent aussi de nombreuses questions, notamment quant à l’équité d’accès à ces soins sophistiqués et à leur poids financier. Il est important de ne pas ignorer ces inconvénients.
Par exemple, les robots chirurgicaux permettent depuis plusieurs années des procédures plus précises et moins invasives, ce qui réduit généralement les complications postopératoires et le temps de récupération. Ils restent cependant chers, avec un prix d’acquisition atteignant deux à trois millions de dollars, et se trouvent principalement dans les centres universitaires urbains. Non seulement ils augmentent le coût des interventions chirurgicales, mais la question des barrières géographiques à l’accès se pose inévitablement.
Les vaccins à ARN, popularisés pendant la pandémie de Covid-19, ouvrent des pistes encourageantes pour traiter certains cancers de mauvais pronostic, comme le mélanome métastatique et le cancer du pancréas, même si nous en sommes encore aux essais cliniques. Sauf que le coût élevé de ces traitements immunologiques innovants, estimé à plus de 100 000 dollars américains pièce, pourrait freiner leur large diffusion.
Les technologies récentes de modification génétique comme CRISPR annoncent également des solutions révolutionnaires pour certaines maladies. Par exemple, la thérapie génique contre la drépanocytose, une maladie débilitante, a récemment été approuvée aux États-Unis. Même si ses résultats sont convaincants, son accessibilité à grande échelle apparaît douteuse quand on connaît les coûts, estimés à environ 2,2 millions de dollars américains par patient.
Enfin, les multiples approches « omiques » – génomique, transcriptomique, protéomique, métabolomique, lipidomique – proposent d’analyser d’innombrables données biologiques pour adapter les traitements aux caractéristiques de chaque individu, ce qu’on appelle aussi médecine de précision. Déjà utilisés avec succès en oncologie, ils sont également prometteurs dans de nombreux domaines où leur pertinence clinique reste cependant à confirmer. Leur mise en œuvre nécessitera également d’énormes infrastructures technologiques dont les coûts pourraient être proportionnels.
Comme on le voit, ces avancées fascinantes montrent que la médecine recèle de nombreuses promesses pour des diagnostics plus précis et des traitements mieux ciblés. L’enthousiasme ne doit cependant pas occulter les défis posés par ces technologies de pointe, notamment en ce qui concerne leur financement, enjeu évidemment déterminant pour notre système de santé, qui peine déjà à répondre à la demande.
Il serait tout aussi inquiétant que ces innovations accentuent les inégalités sociales. Il s’agit de faire en sorte que les personnes favorisées ou vivant en zone urbaine n’y aient pas un accès facile, mais que pour les plus vulnérables et ceux habitant loin des grands centres, cela devienne un parcours du combattant. Pour les pays à faible revenu, où ces approches pourraient rester ignorées pendant des décennies, les solutions risquent d’être encore plus complexes.
Largement soutenues par des recherches financées sur fonds publics, ces avancées remarquables doivent avant tout répondre aux besoins du plus grand nombre.
Une approche permettant de concilier progrès, coûts et équité semble donc impérative. Il serait souhaitable de concentrer les efforts sur les domaines où les gains de population sont les mieux démontrés et de donner la priorité à ceux dont le rapport coût-efficacité est le plus élevé. Il faudra aussi négocier étroitement avec les entreprises qui proposent et proposeront tous ces nouveaux traitements.
Bien sûr, les chercheurs continueront de repousser les limites de la médecine — et c’est tant mieux ! Mais pour que leurs visions deviennent réalité pour tous, nous devons adopter une attitude aussi vigilante que pragmatique. L’implication des patients et des professionnels de santé dans les débats des décideurs politiques apparaît ici essentielle pour garantir la primauté de l’intérêt collectif.
Le défi est de trouver un équilibre entre ne laisser personne de côté et continuer à avancer. En fait, il s’agit d’atteindre les deux ! Avec un tel objectif, plein de bon sens, il ne reste plus qu’à tracer la voie.
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