Je fais partie des 42 % de Québécois qui, selon un sondage Léger publié en octobre, ont sorti leur carte de crédit plutôt que leur carte d’assurance maladie au cours de la dernière année. Je n’avais rien de mortel, mais je vous jure qu’être atteint d’une affection aussi enfantine qu’une otite à un âge canonique est « douloureux », comme aurait dit un jour le lutteur « Mad Dog » Vachon.
C’était une première pour moi d’être obligé — j’insiste sur le mot — de me tourner vers le secteur privé pour obtenir des soins de santé primaires couverts par la Régie de l’assurance santé du Québec (RAMQ). Que ce soit chez mon médecin de famille, à mon GMF ou dans d’autres cliniques aux alentours, il est impossible d’obtenir un rendez-vous.
En 2019, seulement 19 % des personnes interrogées avaient consulté en privé. Cette croissance n’est pas un fait anodin ni une coïncidence. D’ailleurs, la très publique et gouvernementale Rendez-vous santé Québec s’empresse de me suggérer certaines de ces cliniques privées qui se multiplient dans ma ville de banlieue à la vitesse des bactéries dans une plaie.
Notre système de santé a beau se définir comme public, son ADN trahit sa structure privée. Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, pour chaque 100 $ dépensé en santé au Canada en 2023, 27 $ sortaient directement de la poche du citoyen pour payer un « fournisseur de soins » non couvert par la RAMQ — dans les domaines de la santé bucco-dentaire, oculaire et musculo-squelettique. , en particulier lorsque l’ensemble des services du système public est particulièrement limité. Parmi tous les autres pays de l’OCDE, ce n’est qu’aux États-Unis que les gens consacrent un pourcentage plus élevé de leur budget de santé aux soins privés.
Mais quand même ! Une bonne partie des 73 dollars restants proviennent de nos impôts, versés par la RAMQ à des prestataires privés (comme les agences de placement d’infirmières, mais aussi les pharmaciens, qui, depuis la loi 31, peuvent effectuer un grand nombre d’actes médicaux), mais surtout à médecins – qui consomment près de 20 % du budget total.
Parce que la majeure partie de la première ligne est privée. Cette première ligne est établie depuis 20 ans autour des groupes de médecine familiale (GMF). Les GMF ne sont pas des établissements publics : ce sont des entreprises. Les médecins qui y exercent sont souvent eux-mêmes « incorporés » (60 % le sont, dont 66 % de médecins spécialistes). Tous les revenus qu’ils gagnent – presque 100 % de l’État – sont considérés comme des revenus d’entreprise. N’oubliez pas que les taux d’imposition des revenus d’entreprise sont inférieurs à ceux des particuliers, afin de tenir compte de l’élément de risque d’une entreprise. Toutefois, l’activité professionnelle des médecins est protégée par des actes qui leur sont réservés par la loi. Nous reviendrons pour le risque !
Ceux qui sont très favorables à l’inoculation des soins de santé privés citent des exemples où la fourniture des soins est l’œuvre d’entreprises privées tout en étant prise en charge par l’État. L’ironie ici peut être savourée comme un grand cru : face à l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous d’urgence dans un établissement privé déjà payé par leurs impôts (un GMF), le Québécois est contraint d’opter pour un service privé payé de sa poche ( dans une clinique privée).
Des dizaines de milliers d’opérations en attente dans le système public seront également réalisées en privé dans les mois à venir : arthroplastie, salpingectomie et tous types de chirurgie orthopédique font la fortune de cliniques comme RocklandMD ou Chirurgie DIX30. D’ailleurs, l’ancien directeur général de cette dernière, Normand Laberge, pilote actuellement un projet d’hôpital privé de 51 millions de dollars à Mont-Tremblant, une petite ville de 10 000 habitants. Le bâtiment, entièrement privé, abritera entre autres… le CLSC ! Mais aussi le GMF local. L’hôpital privé de première ligne sera érigé après leur construction. Pendant ce temps, l’un des deux hôpitaux de la région immédiate, celui de Rivière-Rouge, à 40 km de là, souffre déjà d’une grave crise de personnel de toutes sortes.
En rivalisant ainsi de l’intérieur, notre système de santé, criblé d’incohérences, ne peut que se retrouver poussé à l’effondrement.