L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux portent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine..
S’il a été maintes fois répété ici que le conflit en Ukraine est un conflit entre grandes puissances, on peut en dire autant de celui qui ravage la Syrie depuis 2011.
Là où elle diffère de l’Ukraine, c’est dans sa durée. Cela fait maintenant près de 15 ans que ce pays, dont les origines remontent à l’Empire ottoman et au colonialisme européen, est plongé dans la guerre civile. Et depuis près de 15 ans maintenant, les deux mêmes grandes puissances qui croisent indirectement le fer en Ukraine – les États-Unis et la Russie – le font également en Syrie.
La dynamique syrienne est plus complexe en raison du jeu inextricable des alliances régionales. Dès les premiers jours du Printemps arabe en 2011, les alliés américains dans le monde arabe, comme l’Arabie saoudite et la Turquie (toutes deux sunnites), voulaient renverser le régime de Bachar al-Assad, qui comptait pour sa part sur le soutien de la majorité. important pays chiite, l’Iran… et son ami russe.
Israël avait commencé à militer pour la chute de Bachar al-Assad bien avant les révoltes populaires de 2011. Dans ses mémoires, l’ancien président George W. Bush (2001-2009) confiait qu’il avait même sérieusement envisagé la possibilité de bombarder la Syrie en 2011. années 2000, comme le demandait le gouvernement israélien.
Il ne faudrait pas s’étonner, dans ce contexte, si, quelques heures à peine après la fuite de l’ancien dictateur, Israël annonçait la prise de possession de la zone démilitarisée, décrétée par l’ONU en 1974, du plateau du Golan, un vaste région aux frontières de la Syrie, du Liban et d’Israël, illégalement annexée par ce dernier en 1981.
Il n’en reste pas moins que l’acteur ayant le plus contribué à la déstabilisation, puis in fine au renversement du régime d’Assad était – de loin – le géant américain.
Depuis les années Obama, la CIA avait financé une guerre secrète contre Assad estimée à plus d’un milliard de dollars.
En fait, l’ampleur de l’intervention américaine dans le pays était telle que certains groupes rebelles financés par la CIA se battaient pour le contrôle du pays contre Assad… et contre d’autres groupes financés par le Pentagone.
Sans jamais demander ni obtenir une déclaration de guerre, les administrations Obama, Trump et Biden ont discrètement déployé des milliers de soldats en Syrie au fil des années. Ce n’est que lorsque quatre Américains ont été tués dans une explosion en 2019 que nombre de leurs compatriotes ont réalisé pour la première fois que le gouvernement envoyait des troupes en Syrie depuis des années.
Et dans les heures qui ont suivi la chute d’Assad, les États-Unis ont bombardé plusieurs sites en Syrie soupçonnés d’héberger le groupe armé État islamique et ses alliés.
C’est bien sûr là tout le casse-tête pour les États-Unis : comment faire en sorte qu’un dictateur ennemi ne soit pas remplacé par quelqu’un de même nature, voire pire ?
C’est une véritable préoccupation depuis 2011, celle de participer involontairement à la prise de contrôle du pays par les forces jihadistes. Comme cela a déjà été le cas ailleurs au Moyen-Orient : l’armement des moudjahidines en Afghanistan ; manifestations anti-Moubarak en Égypte ; le renversement de Kadhafi en Libye… et, bien sûr, l’invasion de l’Irak par Saddam Hussein. La liste des leçons à tirer est longue. Le portrait des choses à venir l’est beaucoup moins.
Dans l’immédiat, les États-Unis et leurs alliés sont débarrassés d’un régime ennemi et les rivaux des États-Unis, notamment l’Iran, sont affaiblis. Mais qu’adviendra-t-il de l’attitude des États-Unis et de la Russie si un régime islamiste prend les rênes du pays ? Ce scénario pourrait ne plaire à aucune des parties.
Après tout, s’il est un sujet majeur sur lequel Vladimir Poutine avait tendu la main aux Américains avant que leurs relations ne se dégradent, c’est bien celui de la lutte commune contre le terrorisme islamiste…
À ces questions s’ajoute la suivante : qui, exactement, définira la politique américaine à l’égard de la Syrie ? L’administration Biden est peut-être en voie de disparition, mais le président sortant a exprimé très clairement, après la fuite d’Assad, sa volonté d’utiliser la situation actuelle pour faciliter l’émergence d’un nouveau régime allié.
Les futurs président et vice-président Donald Trump et JD Vance ont, pour leur part, déclaré sans équivoque que la crise en Syrie « ne[était] pas [leur] combat.”
Quant à la CIA et à l’establishment militaire américain, qui sont depuis longtemps aux mains de ce bourbier, ils ne voudront pas lâcher prise de si tôt.
La suite s’annonce imprévisible.