Députée libérale au Québec de 2007 à 2022, Christine St-Pierre a été ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, ainsi que ministre des Relations internationales et de la Francophonie. Journaliste à Radio-Canada de 1976 à 2007, elle a été coursière parlementaire à Québec et à Ottawa, puis correspondante à Washington.
Les politiciens ont un gros ego. Mais face à la menace de Donald Trump d’imposer des tarifs douaniers exorbitants et totalement injustifiés sur les exportations canadiennes vers son pays, les élus ont tout intérêt à travailler ensemble.
L’absence de leadership à Ottawa a contribué à une avalanche de déclarations qui sont allées dans toutes les directions. Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a saisi l’occasion et s’est transformé en Capitaine Canada. Débordant d’énergie, il multiplie pendant les vacances les interviews avec les médias américains, notamment sur la chaîne préférée de Donald Trump, Fox, tout en multipliant les appels aux gouverneurs et aux acteurs du monde des affaires.
Alors qu’il préside le Conseil de la fédération — ce regroupement de tous les premiers ministres provinciaux et territoriaux — Doug Ford a également pris l’initiative de convoquer ses homologues en mission à Washington le 12 février.
La crise actuelle semble aussi donner une nouvelle actualité au Conseil de la fédération – que François Legault, lorsqu’il était indépendantiste, avait qualifié de « bébé » lors de sa création, en 2003, par le gouvernement de Jean Charest.
Le jeune forum a obtenu une victoire importante en 2004, dans la question des transferts en santé, avec le premier ministre fédéral Paul Martin — une entente qui reconnaissait le fédéralisme asymétrique (c’est-à-dire des ententes adaptées à la spécificité du Québec). En 2006, une mission en Chine a également été un grand succès.
Mais depuis, on a la plupart du temps l’impression d’être en présence d’un club dont les partenaires, une fois leurs réunions terminées – il y en a deux par an – et les projecteurs éteints, voulaient jouer davantage en retrait. que de se soutenir mutuellement.
C’est l’ancien ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, Benoît Pelletier, qui a travaillé à la création de cet organisme — il voulait en faire un lieu de concertation entre les provinces, afin d’établir un véritable rapport de force avec Ottawa. Cet ancien collègue, décédé l’année dernière et que j’admirais énormément, avait une foi inébranlable dans le fédéralisme canadien et dans le rôle que devraient jouer les provinces et les territoires. Il a expliqué avec passion que « le but ultime [du Conseil] est de rendre les acteurs provinciaux à la fois pleinement autonomes dans leurs sphères d’activité et capables, au même titre que le gouvernement fédéral, de participer à la définition du bien commun du pays.
Mais dans la réalité politique canadienne, le Conseil de la fédération n’a jamais tenu ses promesses — et encore moins répondu au souhait de Benoît Pelletier.
Quelque 22 ans plus tard, le Conseil de la fédération a enfin la chance de jouer un rôle de premier plan dans un dossier où sa présence semble véritablement utile.
C’est donc autour du Conseil que l’on a vu cette semaine le début d’une sorte d’unité canadienne dans la réponse aux menaces de Donald Trump. Si Justin Trudeau avait invité ses homologues provinciaux, c’est Doug Ford qui a volé la vedette mercredi, non seulement grâce à sa casquette « Le Canada n’est pas à vendre », mais aussi par son leadership affirmé.
On assiste à un début de concertation entre des premiers ministres qui donnent depuis plusieurs semaines l’impression de travailler en silos. Tout le monde — à l’exception notable de Danielle Smith, en Alberta — a tenu à peu près le même discours : l’heure n’est pas encore aux représailles, mais il y en aura si des tarifs douaniers sont appliqués. Et si nécessaire, le Canada n’hésitera pas à menacer les Américains en utilisant la carte énergétique.
François Legault n’exclut pas l’idée de couper l’électricité aux Américains. Son homologue terre-neuvien, Andrew Furey, a soutenu que « l’énergie canadienne exportée vers les États-Unis est notre reine dans cette partie d’échecs ». Doug Ford tient un discours similaire depuis novembre. Mercredi, les premiers ministres ont beaucoup entendu dire que nous devions nous lever et que l’heure était à l’unité et non à la division.
Cela a dû ravir mon ancien patron Jean Charest. Avant les vacances, il a appelé de toutes ses forces à une action commune avec nos partenaires américains. “Comme nous ne sommes pas plus grands, nous devons être plus intelligents, plus fins, mais encore faut-il être d’accord entre nous”, a-t-il répété cette semaine (il a été nommé jeudi par Justin Trudeau à un comité consultatif sur les relations canado-américaines). J’imagine que s’il avait encore été dans la peau de premier ministre, il aurait porté la casquette de Capitaine Canada… mais peut-être pas celle portée mercredi par Doug Ford !