Karl Bélanger a travaillé pendant près de 20 ans sur la colline parlementaire à Ottawa, notamment comme attaché de presse principal de Jack Layton et secrétaire principal de Thomas Mulcair. Il a ensuite été directeur national du NPD avant de mettre un terme à sa carrière politique à l’automne 2016. En plus d’agir comme commentateur et analyste politique à la télévision, à la radio et sur le Web, Karl est président de Traxxion Stratégies.
À quelques jours de la rentrée parlementaire, les spéculations sur la tenue d’élections générales continuent de faire les manchettes. Alors que la pression est déjà forte pour que Justin Trudeau cède son siège, c’est maintenant son allié parlementaire qui l’abandonne.
À première vue, la décision du Nouveau Parti démocratique (NPD) de rompre l’entente de collaboration avec les libéraux constitue un coup dur pour Justin Trudeau. Son gouvernement se retrouve en position d’instabilité alors que le Parti libéral du Canada (PLC) est au plus bas dans les sondages.
La question de la fin de l’alliance PLC-NPD est au cœur de la vie politique fédérale depuis la signature de l’accord de soutien et de confiance en mars 2022. Cela a également été souligné dans les rangs du NPD : « Sortir de l’accord a toujours été et sera toujours sur la table pour Jagmeet Singh », rappelait la semaine dernière Alexandre Boulerice, chef adjoint du NPD.
À l’automne 2022, Jagmeet Singh menaçait déjà de déchirer l’accord si le gouvernement ne trouvait pas de solutions à la crise des soins pédiatriques. Lors du congrès de l’automne dernier, les délégués du NPD ont adopté à l’unanimité une résolution stipulant que le NPD se retirerait de l’accord si les libéraux ne proposaient pas un programme d’assurance-médicaments. En fait, depuis la signature de l’accord, les libéraux ont raté plusieurs échéances qui auraient permis au NPD de justifier son retrait. Chaque fois, le NPD a préféré temporiser.
Il n’en demeure pas moins que plusieurs mesures prévues dans l’accord ont été adoptées et mises en œuvre au fil du temps. Il est difficile pour le NPD d’affirmer le contraire.
Plusieurs députés du NPD sont toutefois mécontents de la décision récente du gouvernement Trudeau d’imposer un arbitrage exécutoire pour mettre fin au conflit ferroviaire. Le porte-parole du parti en matière de travail, Matthew Green, a déclaré qu’il y aurait des « discussions difficiles » lors de la retraite présessionnelle du caucus, qui commence jeudi. En prenant les devants, Singh évite une nouvelle discussion sur l’avenir de l’accord.
Pour comprendre la décision du NPD de se retirer de l’accord, il faut aussi prendre en compte les données de Pierre Poilievre. Il y a quelques jours, le chef conservateur a défié Jagmeet Singh, affirmant que « les Canadiens ne peuvent pas se permettre une autre année de Justin Trudeau ». Il a demandé à Jagmeet Singh de congédier le premier ministre, tout en accusant le chef du NPD d’être un « vendu ».
Il est difficile de croire que Pierre Poilievre ait réellement convaincu le NPD en utilisant une telle rhétorique. Il n’en demeure pas moins que le Parti conservateur a voulu renforcer l’association entre les libéraux et le NPD dans l’esprit des électeurs — surtout les électeurs orange-bleu, ceux qui ne votent jamais libéral, particulièrement nombreux dans les provinces de l’Ouest.
En toile de fond, il y a aussi l’élection partielle du 16 septembre dans la circonscription d’Elmwood–Transcona, au Manitoba, un siège visé par le PCC. Les conservateurs ont terminé deuxièmes derrière le NPD à 10 des 11 dernières reprises dans cette circonscription. Ils l’ont même remportée en 2011.
En prenant ses distances avec Justin Trudeau, le NPD pourrait avoir de meilleures chances de conserver son siège. En prime, il creuse un écart devant les libéraux dans LaSalle–Émard–Verdun, à Montréal (où se tiendra également une élection partielle le 16 septembre), dans l’espoir de rallier les mécontents derrière leur candidat Craig Sauvé, un conseiller municipal populaire.
Jagmeet Singh espère que le NPD profitera de l’impopularité de Justin Trudeau pour s’établir comme une alternative aux conservateurs, et ainsi attirer les électeurs libéraux déçus qui ont peur de Pierre Poilievre. Dans un monde idéal, la chute de l’appui au gouvernement libéral au cours des dernières années aurait profité au moins autant au NPD qu’au Parti conservateur. Or, les sondages montrent qu’au mieux, l’appui au NPD a plafonné sous la barre des 20 % depuis la signature de l’accord, tandis que l’appui aux conservateurs est en hausse et l’appui aux libéraux en baisse.
Sans un climat favorable, le NPD risquait d’être emporté par la vague bleue qui menace actuellement le Parti libéral. Un sondage publié le 26 août laissait présager ce phénomène, celui de Léger montrant que le NPD avait perdu cinq points (de 20 % à 15 %) en un mois (d’autres sondages plus récents sont moins clairs sur ce point). Le NPD aurait-il senti la soupe chaude ? Visiblement, le parti ne veut plus payer le prix politique de son appui à Justin Trudeau, et a ressenti le besoin de se distancer de son allié et de créer un contraste entre les deux partis.
Cependant, en regardant la situation globale, les stratèges du NPD doivent se rendre compte que les conditions ne sont pas réunies pour renverser le gouvernement.
Sur le plan des politiques publiques, la chute du gouvernement Trudeau pourrait mettre en péril plusieurs avancées obtenues par le NPD, comme le programme de soins dentaires, le programme d’assurance médicaments, la (petite) réforme électorale et la prolongation de l’Initiative pour la création rapide de logements.
Toutefois, selon les sondages actuels, il existe un risque qu’un gouvernement conservateur hostile à ces mesures prenne le pouvoir dans les prochains mois. Même si le NPD souligne que la fin de l’accord n’envoie pas automatiquement les électeurs aux urnes, le risque demeure réel.
En abandonnant son influence stable sur le gouvernement Trudeau, Jagmeet Singh donne aussi l’occasion à Yves-François Blanchet et au Bloc québécois de bénéficier du rapport de force. Avec plusieurs irritants entre Québec et Ottawa, le Bloc pourrait en profiter pour arracher des concessions au gouvernement fédéral et « faire des gains pour le Québec » au cours de cette dernière année avant l’élection prévue en octobre 2025. Un fauteuil confortable pour Yves-François Blanchet, qui pourrait prouver l’utilité du Bloc à l’approche de l’échéance électorale.
En attendant, le gouvernement libéral devra survivre au cas par cas. Les questions de confiance surgiront rapidement. Les libéraux savent maintenant qu’ils ne peuvent plus compter sur le NPD. Si le Bloc refuse de danser avec le gouvernement, le NPD devra rapidement affronter la logique de sa décision : soit appuyer le gouvernement Trudeau en obtenant peu ou rien en retour, soit précipiter le pays vers des élections alors que Pierre Poilievre a le vent dans les voiles.