Galvanisée, détournée à des fins commerciales ou simplement mal comprise, la nutrition est servie de toutes les manières. « On imagine souvent que les diététistes-nutritionnistes préparent uniquement des menus pour aider à la perte de poids, mais c’est une idée fausse; leur champ d’expertise est beaucoup plus large! », affirme Joëlle Emond, présidente de l’Ordre des diététistes-nutritionnistes du Québec (ODNQ).
La mission de ces professionnels — en majorité des femmes — est d’établir des recommandations nutritionnelles personnalisées, dans le but de maintenir ou de rétablir la santé. Et elles ont acquis de nouveaux pouvoirs pour y parvenir.
Depuis 2022, les diététiciens-nutritionnistes peuvent en effet prescrire des macronutriments, comme des protéines, en cas de dénutrition (cela peut être sous forme de solution administrée par sonde lorsque les patients ne peuvent pas manger normalement).
Elle peut également prescrire des micronutriments, comme la vitamine B12 ou le fer, en cas d’anémie. La plupart des vitamines et minéraux sont disponibles en vente libre en pharmacie, mais la nutritionniste pourra prescrire un dosage qui répond aux besoins spécifiques de son client. Le fait d’avoir une ordonnance peut aussi permettre au client d’être remboursé par son assurance ou par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) dans certains cas, par exemple lorsque l’alimentation habituelle de la personne n’est pas tolérée ou ne suffit pas à ses besoins.
En 2022, les nutritionnistes ont également obtenu le droit de demander des analyses de laboratoire pour mieux surveiller les plans de traitement nutritionnel. Cela peut être utile pour mesurer et équilibrer avec précision les électrolytes (des minéraux comme le sodium et le magnésium, qui jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement de l’organisme) dans les cas de maladie rénale, par exemple.
Ils sont également autorisés à ajuster les doses d’insuline – l’hormone qui régule la glycémie – et les médicaments antidiabétiques, sans l’accord du médecin qui les a prescrits. Un patient diabétique qui décide d’augmenter son activité physique et de modifier ses habitudes alimentaires connaît souvent des épisodes d’hypoglycémie. Après une évaluation complète de l’état nutritionnel du patient, le nutritionniste peut ajuster les doses d’insuline pour prévenir ces épisodes. « Nous allons calculer la quantité de glucides consommés, la sensibilité à l’insuline et proposer d’augmenter ou non les doses en fonction des résultats », souligne Joëlle Emond.
Une nutritionniste peut être consultée directement par un patient. Toutefois, pour qu’elle puisse rédiger des ordonnances, il faut que le médecin ou l’infirmière praticienne spécialisée (IPS) du patient ait d’abord demandé une consultation en nutrition. Le nouveau pouvoir de prescription de la nutritionniste accélère toutefois le processus, car auparavant, une fois son évaluation effectuée, le patient devait retourner voir son médecin ou son IPS pour obtenir une ordonnance pour ses analyses de laboratoire, par exemple. Le fait que la nutritionniste puisse le faire elle-même «favorise vraiment la rapidité d’accès aux soins en évitant les allers-retours», observe Joëlle Emond.
Dans le cadre du projet d’élargissement des pratiques professionnelles lancé par le gouvernement du Québec, l’ODNQ demande que les nutritionnistes puissent rédiger des ordonnances sans que les patients soient obligés d’obtenir au préalable une demande de consultation en nutrition.
Divers rôles
Les diététiciens-nutritionnistes interviennent dans de nombreuses situations telles que la prise en charge du diabète et de l’anémie, dans les cas d’hypertension artérielle, de problèmes cardiovasculaires, de troubles du comportement alimentaire, d’intolérance au gluten, et même en oncologie, pour limiter la perte de poids et les nausées.
Ils évaluent l’état nutritionnel de la personne en fonction des carences et des habitudes alimentaires et d’exercice, ainsi que des symptômes liés à l’alimentation, comme le niveau d’énergie ou la digestion. Une fois qu’une maladie a été diagnostiquée par le médecin ou l’infirmière praticienne spécialisée (IPS), ils peuvent déterminer un plan de traitement et effectuer un suivi pour l’ajuster en fonction des résultats. Cependant, ils n’ont pas le pouvoir de poser un diagnostic.
« La nutrition est une science en constante évolution et les nutritionnistes interviennent dans la prévention et le traitement de nombreuses maladies, dont la dysphagie », explique Amélie Giroux, présidente de l’Association professionnelle des nutritionnistes experts en dysphagie (APNED). Leurs compétences sont particulièrement utiles pour traiter ce trouble de la déglutition, qui se manifeste par une difficulté à faire passer les aliments, la salive ou les médicaments à l’estomac. Ce sont eux qui déterminent la voie d’alimentation – par voie orale, entérale (tube dans le nez, l’estomac ou l’intestin) ou parentérale (intraveineuse) – ainsi que la texture des aliments et la consistance des liquides.
« Leur rôle est très différent selon le secteur et le lieu d’exercice », souligne Joëlle Emond. Tous doivent avoir suivi la même formation initiale, soit un baccalauréat en nutrition de trois ans et demi, afin d’obtenir le permis d’exercice de leur profession.
À plus long terme, les nutritionnistes souhaiteraient pouvoir poser certains diagnostics de santé physique ou mentale, comme des troubles ou des carences alimentaires. Les nutritionnistes espèrent également pouvoir prescrire, en collaboration avec les ergothérapeutes et les orthophonistes, des tests permettant d’évaluer la dysphagie.
Comment consulter une diététicienne-nutritionniste ?
Très souvent, ce sont des médecins ou des IPS qui envoient leurs patients vers des diététistes-nutritionnistes après avoir détecté une maladie ou une pathologie qui requiert leurs compétences. Mais il est aussi possible de les consulter directement, dans le secteur public ou privé. L’ODNQ compte près de 3 400 membres, répertoriés sur son site Internet. Un outil permet de trouver un professionnel en fonction de votre motif de consultation.
Les diététistes-nutritionnistes sont présentes dans plusieurs groupes de médecine familiale, dans les centres locaux de services communautaires (CLSC), les cliniques externes, les CHSLD, les hôpitaux et les cliniques privées. Dans le réseau public, les établissements offrent des soins gratuits pour une foule de problèmes de santé comme l’anémie, l’intolérance au lactose ou le syndrome du côlon irritable.
Dans le secteur privé, le prix varie selon la durée de la consultation et le problème à traiter. En général, les honoraires varient entre 90 $ et 160 $, la première rencontre étant souvent plus coûteuse puisqu’elle comporte une évaluation nutritionnelle. Pour un problème courant comme l’évaluation des habitudes alimentaires d’une personne souffrant d’hypertension et le suivi des résultats, deux à six rencontres peuvent être nécessaires, bien que cela varie beaucoup.
La guerre contre les régimes
Jusqu’en 2021, l’Ordre représentait les « diététistes » du Québec, à l’instar des Diététistes du Canada. L’ajout du mot « nutritionniste », désormais réservé au Code des professions, offre un levier juridique pour empêcher l’usurpation de compétences par les « diététistes » entraîneurs » ou « conseillères en nutrition ». Seuls les membres de l’ODNQ sont des experts reconnus dans ce domaine. Il est également possible de vérifier le permis d’exercice sur le site de l’Ordre. Surtout, le titre de nutritionniste permet de mieux éviter la connotation négative associée aux régimes.
La perte de poids seule est rarement recommandée par les diététiciens, qui préfèrent aider à changer les habitudes de vie et l’alimentation afin d’améliorer la santé, souligne le nutritionniste Bernard Lavallée, surnommé dans les médias le «nutritionniste urbain». Il déplore également le caractère mensonger des promesses des programmes d’amaigrissement, ainsi que l’accent mis sur la minceur au détriment du gras. «Il est vrai que les personnes plus lourdes peuvent avoir plus de problèmes de santé, mais de nombreux facteurs incontrôlables influencent le poids, comme la génétique, les médicaments ou l’âge», explique-t-il. Il recommande plutôt une alimentation variée, la plus fraîche et végétale possible.
Au-delà des consultations individuelles, les nutritionnistes jouent un rôle clé auprès du grand public. Certains, comme Bernard Lavallée, sont présents dans les médias. Chroniqueur à la radio et à la télévision et auteur de plusieurs livres, il fouille dans les études scientifiques, décortique les rapports et identifie les dernières tendances afin d’éclairer le public sur les grands enjeux liés à l’alimentation. « J’aide les consommateurs à ne pas se faire avoir dans un monde bombardé de messages contradictoires », explique-t-il.
D’autres travaillent dans des programmes de prévention, dans les écoles et les entreprises, pour promouvoir de saines habitudes alimentaires, revoir les menus dans les cantines et intégrer des produits locaux et de saison, par exemple.
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