En janvier 1980, dans l’émission Antenne 2 Cartes sur table (“Cartes sur la table)”, Georges Marchais, ancien leader du Parti communiste français (et père de quatre enfants), a accusé le leader du Parti socialiste de l’avoir trahi, en 1977, à la suite d’une déclaration télévisée sur la défense nationale. “J’étais en Corse en train de regarder la télévision (…). J’ai dit à ma femme : Mitterrand a décidé d’abandonner le programme commun de la gauche. Je lui ai dit : ‘Liliane, fais tes valises, on rentre à Paris'” ( Le quotidien affilié au communisme Humanité l’a retranscrit le lendemain ainsi : “On fait les valises et on rentre à Paris !”) Cette phrase est entrée dans l’histoire, et le politologue Pascal Perrineau l’a ensuite analysée pour le site de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) en notant : “C’est le côté, disons, pas très féministe. Pour le leader d’un grand parti de gauche, cela avait un côté un peu suranné.”
Dépassé, vraiment ? 40 ans plus tard, ce sont toujours les femmes qui font les valises (71% des mères, selon l’institut d’enquête IFOP en 2023). Quant aux hommes, ils les chargent encore dans le coffre de leur voiture, qu’ils conduisent également (64 %). Faire ses valises, c’est aussi faire la lessive (72% des femmes s’occupent du linge), faire des listes pour ne rien oublier et, au retour des vacances, laver, accrocher, plier et ranger le tout dans le placard. Même si cela ne semble pas insurmontable, multipliez-le par le nombre d’enfants et vous pourriez bientôt retrouver Liliane recroquevillée sur le sol de la salle de bain. Surtout si elle travaille le lendemain.
Pourtant, si l’on regarde les séries télévisées, la publicité, les innombrables livres sur la paternité et les super papas des réseaux sociaux, les pères des temps modernes, dans les couples hétérosexuels dits « égalitaires », apparaissent pleinement engagés dans la parentalité, assumant toutes les responsabilités, parfois tâches ingrates qui vont avec.
Cette révolution des “nouveaux pères” – que l’on rencontre à la porte de l’école, dans les supermarchés et les parcs (ou sur les pistes cyclables avec leurs vélos cargo remplis de petits) – est une vaste mystification, selon Stéphane Jourdain et Guillaume Daudin, auteurs de la bande dessinée L’arnaque des nouveaux pères (“L’arnaque du nouveau père”). Un mythe qui cache une réalité tenace : il est vrai que les hommes sont plus impliqués dans l’éducation des enfants et les tâches ménagères que la génération précédente. Cependant, comme le confirment toutes les études menées au cours des 20 dernières années, il existe encore un écart énorme entre ce que font les hommes et ce que font leurs partenaires au quotidien.
“J’ai l’impression d’être un nettoyeur à sec”
Même si les papas font la cuisine, remplissent la fiche fiscale, emmènent les petits aux entraînements de foot ou au cinéma, des tâches comme nettoyer la cuvette des toilettes, acheter des vêtements pour enfants (à la bonne taille), prendre des rendez-vous chez le médecin (sur la réservation française Doctolib) app, 85% sont réservés par les mamans), l’organisation des vacances, de la rentrée et des anniversaires reste l’apanage des mamans, impératrices de l’anticipation. Ce sont les tâches valorisées versus les gestes invisibles, illustrant la fameuse charge mentale – un concept popularisé par la dessinatrice Emma en 2017 avec sa bande dessinée J’ai dû demander (“Il suffisait de demander”). Le combat pour l’égalité ne se gagne pas seulement sur le champ de bataille des droits et des salaires, mais devant le panier à linge sale, comme l’expliquait déjà Titiou Lecoq dans son essai. Libéré! (« Libéré ! »), en 2017.
Il vous reste 78,16% de cet article à lire. Le reste est réservé aux abonnés.