Cela a fini par être une soirée électorale tout à fait normale. Certes, le suspense est resté à son comble jusqu’au petit matin, mais il n’en reste pas moins qu’à minuit, et même plus tard, il n’y avait rien de cette ambiance du 6 janvier 2021 que certains nous promettaient, dans un camp comme dans l’autre (même si, en fin d’après-midi, Trump dénonçait faussement sur son réseau social la fraude généralisée à Philadelphie).
Il y a quatre ans, à la même époque, Donald Trump criait au scandale, tandis que Joe Biden restait circonspect face à ce sinistre spectacle. Les Proud Boys étaient là attendre. C’était nul. Et le jour de l’investiture, deux mois et demi plus tard, a donné raison à toutes ces appréhensions.
Nous avons assisté à un dévoilement des votes étonnamment banal compte tenu des circonstances. A la télévision, les analystes analysaient les résultats comté par comté, les commentateurs commentaient les commentaires des uns et des autres et les animateurs s’animaient pour remplir tout le temps d’antenne à passer sans rien avoir à annoncer. Dans les rues, dans les sièges du parti, dans les bars, les militants du côté des vainqueurs présumés ont dansé et chanté. Ceux du côté supposé des perdants ont essuyé leurs larmes. Dans les chaumières, nous attendions les discours des candidats à la présidentielle avant de nous coucher. Bref, la routine électorale, la démocratie telle que nous la connaissons.
Ce sont les électeurs les plus motivés qui ont finalement remporté leurs élections. Et ceux qui avaient clairement le plus grand désir de s’exprimer par les urnes étaient ceux qui croyaient qu’un changement de paradigme était nécessaire. C’est aussi en soi un test réussi pour la démocratie. Ceux qui sont absents ont toujours tort.
Cela dit, il ne sert à rien de suranalyser ce que l’électorat américain a pu vouloir dire. Une élection aussi serrée au suffrage universel reste une somme de motivations individuelles, sans interactions. Les Américains n’ont pas exprimé leur ras-le-bol et n’ont pas cherché à envoyer un message aux élites. Lorsque 48 % des électeurs se sont prononcés contre le président élu (la victoire des trumpistes sera proclamée vers 6 heures du matin) – une des oppositions les plus fortes des dernières élections –, cela laisse un pays fortement divisé, pour ne pas dire fragmenté : entre diplômés et ouvriers, entre métropoles et villages ruraux, entre noirs et blancs, entre hommes et femmes.
Il n’en reste pas moins que dans l’exercice électoral, la démocratie a résisté. Reste désormais à voir s’il résistera aussi dans les institutions, d’autant que les deux chambres risquent de pencher du côté trumpiste. Le Sénat est gagné. La Chambre des représentants était encore possible en pleine nuit.
En effet, durant sa campagne, Donald Trump n’a pas épargné les promesses susceptibles de mettre à mal les institutions essentielles à l’exercice de l’État de droit et de la démocratie, à commencer par celles révélant sa tendance au népotisme.
Donald Trump n’est peut-être qu’un forainil n’en demeure pas moins qu’il a menacé ses opposants politiques de les envoyer en prison. Il a suggéré de livrer les petites démocraties à des empires despotiques et génocidaires. Il a même poussé le conflit d’intérêts jusqu’à proposer sa propre grâce présidentielle pour les crimes qu’il avait commis. Toute sa campagne était axée sur la misogynie, le racisme, la xénophobie et l’obscurantisme anti-scientifique. Et il aura désormais la main sur tous les leviers institutionnels, y compris la Cour suprême et la Constitution.
De plus, d’autres promesses du président comportent un grand potentiel de chaos. Son nouvel ami, Elon Musk, a admis sur son réseau social que les politiques économiques espérées par Trump provoqueraient un chaos économique mondial majeur. “Mais c’est pour le mieux pour l’avenir”, a-t-il affirmé.
L’historien américain Timothy Snyder nous prévenait il y a quelques jours, comme il le fait depuis longtemps : le renversement d’une démocratie, pour résumer simplement sa pensée, ne se produit pas révolutionnairement du jour au lendemain. Cela ressemble plus à la proverbiale grenouille dans la poêle. Est-ce que quelqu’un vient d’augmenter la température ?
Pendant ce temps, au Québec et au Canada, on ne peut qu’espérer le meilleur, sans vraiment pouvoir se préparer au pire. Nous entrons dans une période où nous n’aurons aucun pouvoir sur le sort de nos relations avec notre prochain, dont nous dépendons trop.
La démocratie a passé l’épreuve des élections hier soir. Reste à savoir si elle réussira à exercer le pouvoir. Avec un MAGA Etats-Unis jusqu’au bout, les Lumières n’auront jamais été aussi nécessaires depuis… la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis.
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