En novembre 2016, le chef de la CAQ, François Legault, s’était dit « à l’aise » à l’idée d’être associé à Donald Trump, qui venait d’être élu président des États-Unis. Huit ans plus tard, au lendemain de la réélection du milliardaire républicain, le premier ministre du Québec s’est montré plus circonspect dans ses commentaires. Car les défis qui attendent le Québec — et plus encore le Canada — s’annoncent de taille, selon les premières réactions.
«Il faut respecter ce résultat», a déclaré le premier ministre en point de presse à Québec mercredi matin. Dans son analyse du vote, on ne fait aucune mention de ce qu’il avait noté il y a huit ans : le fait que Donald Trump avait su se montrer “proche du peuple”, qu’il avait promis de baisser les impôts et de durcir les règles en matière de l’immigration. En 2024, l’heure est aux inquiétudes. «Nous risquons de connaître des turbulences dans nos relations avec les États-Unis», craint François Legault.
Ce dernier se dit préoccupé avant tout par les intérêts économiques du Québec. «Malheureusement, il faut s’attendre à ce que Donald Trump pose des gestes qui pourraient être négatifs pour l’économie du Canada et du Québec», a déclaré le premier ministre. Il faut se dire la vérité : des emplois sont en jeu. Il faudra être stratégique, notamment dans des secteurs clés comme l’aéronautique, l’aluminium, les produits du bois et la question de la gestion de l’énergie. ‘offre.
Mais c’est surtout la question de l’immigration qui semble inquiéter François Legault – Donald Trump ayant, entre autres, promis d’expulser « les millions d’étrangers illégaux qui ont envahi les États-Unis sous la présidence de Joe Biden ». Le premier ministre craint les répercussions d’un tel projet de déportation, dans la mesure où « il y a déjà trop d’immigrants au Québec ».
“Il ne faut pas non plus assister à un afflux massif d’immigrés en provenance des Etats-Unis, car là-bas, cela pourrait vraiment déséquilibrer le marché du travail”, [alors que] notre capacité d’intégration est dépassée », a-t-il déclaré. Sans donner de détails sur ce que cela pourrait signifier concrètement, il a évoqué l’idée que « le Québec veillera à ce que le gouvernement fédéral protège nos frontières ». Plus tôt ce matin, le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, s’inquiétait également de voir « de potentiels mouvements de masse qui pourraient commencer aujourd’hui »…
Sur un terrain moins politique, le délégué du Québec à Washington, Benjamin Bélair, a déclaré Nouvelles Mercredi matin, l’apparente mainmise des Républicains sur le pouvoir (ils disposent d’une majorité au Sénat et semblent se diriger vers une majorité au Congrès, en plus de la présidence) allait changer l’approche des relations gouvernementales au Québec.
Dans ce genre de situation, « le parti au pouvoir n’a plus de contre-pouvoir », estime-t-il. « Il est beaucoup plus facile pour le président de mettre en œuvre ses politiques publiques. »
Mais Benjamin Bélair est confiant que le travail effectué en amont des élections portera ses fruits. « Nous avons travaillé sans parti pris, nous avons rencontré autant de républicains que de démocrates. Les contacts républicains deviennent aujourd’hui cruciaux, mais nous les avons. Et nous avons travaillé nos réseaux au-delà des élus fédéraux : au sein des États, auprès des municipalités et des entreprises… Dans le contexte actuel, ce sera un appui stratégique important. »
Au cours des prochaines semaines, un groupe de travail Québec-États-Unis composé de six ministres sera créé et examinera les prochaines étapes, selon ce qu’a indiqué François Legault mercredi. De son côté, Benjamin Bélair écoutera beaucoup… « Nous suivrons les rumeurs de nominations au sein de l’administration en croisant les doigts pour que ce soient des gens avec qui nous avons déjà des contacts. Et sinon, nous tenterons d’établir ce contact pour améliorer notre réseau, pour rappeler l’importance du Québec à l’échelle nord-américaine. »
Ottawa
À Ottawa, le premier ministre Trudeau a rapidement félicité le président Trump, avec qui les relations avaient été difficiles de janvier 2017 à janvier 2021. Lors de la mêlée de presse, il a souligné que « ce [avait] a été une victoire décisive » et a affirmé qu’il « avait hâte de travailler avec lui ». « En tant que gouvernement, nous nous préparons depuis longtemps à l’éventualité [de la réélection de Donald Trump] : nous sommes prêts. »
Dans un communiqué envoyé tôt ce matin, Justin Trudeau a rappelé l’importance des liens économiques entre le Canada et les États-Unis, qui « entretiennent le partenariat le plus fructueux au monde ».
La vice-première ministre Chrystia Freeland, qui a dirigé la renégociation de l’accord de libre-échange entre les deux pays lors du premier mandat de Trump, a reconnu que le retour de ce dernier au pouvoir marquait un « moment de grand changement pour le monde ». « Je sais que beaucoup sont inquiets », a-t-elle déclaré. Mais je veux dire aux Canadiens que le Canada s’en sortira. Nous entretenons une relation solide avec les États-Unis et une relation solide avec le président Trump et son équipe.
Ce qui n’était pas le cas à son arrivée en 2016… La diplomate québécoise Louise Blais, qui était alors consule générale du Canada à Atlanta, racontait récemment Nouvelles que c’est elle qui a dû faire des démarches urgentes auprès de ses contacts pour obtenir un numéro de téléphone permettant au premier ministre Trudeau de téléphoner pour féliciter Donald Trump au lendemain de sa victoire. Une illustration du fait qu’Ottawa ne s’attendait pas à une victoire du candidat Trump… et n’avait pas pensé à nouer des liens avec son entourage avant le grand jour.
En 2024, le Canada s’est préparé bien avant les élections. Une « Team Canada » dirigée par deux ministres du gouvernement Trudeau et par l’ambassadeur du Canada aux États-Unis a multiplié les rencontres, ces derniers mois, avec des équipes de Kamala Harris et de Donald Trump — mais aussi, plus largement, avec une pléiade de personnalités. parties prenantes qui pourraient avoir une influence sur les décisions de la future administration.
Jointe mercredi matin, Louise Blais affirme qu’il ne fait aucun doute que les Républicains voudront travailler avec le Canada. «Les proches de Donald Trump sont accessibles et respectent la relation avec le Canada», affirme cet expert des relations entre les deux pays.
A ses yeux, la principale menace économique (puisque le cœur de la relation entre les deux pays est de cet ordre) posée par le retour du président Trump concerne les droits de douane de 10 % qu’il promet d’imposer sur tout. « Il va falloir négocier une exception, mais il va falloir agir vite. » Elle souligne toutefois que le Canada n’abordera pas ces négociations en position de force, avec un gouvernement en fin de mandat. « Nous nous retrouvons devant un président élu qui respecte la force. Justin Trudeau était en position de force en 2016 – récemment élu avec un gouvernement majoritaire. Ce n’est plus ça, et cela va nous nuire dans les mois à venir », pense-t-elle.
Louise Blais souligne également que même si le choix des Américains peut susciter des inquiétudes, il demeure démocratique. « La démocratie a parlé : les gens sont sortis, ils ont voté. C’est leur choix et nous devons le respecter. » La question est désormais de savoir si Donald Trump dirigera démocratiquement…