Les poissons-dragons font généralement parler d’eux pour leurs talents de chasseurs. Cachés au fond des abysses, dissimulés par leurs écailles noires presque parfaites, ces prédateurs de 15 à 40 centimètres de long utilisent leur large bouche et leurs dents particulièrement acérées pour dévorer à peu près tout ce qui passe sur leur chemin. Mais ces créatures cachent une autre particularité, cette fois-ci dans le domaine de la conquête amoureuse. Les mâles ont des orbites plus grandes que les femelles – une exception chez les vertébrés.
Une équipe du Boston College a annoncé la découverte mardi 23 juillet dans la revue Lettres de biologieC’est l’aboutissement de 20 ans de recherche sur les systèmes bioluminescents menés par Christopher Kenaley et ses collègues. Si les poissons-dragons savent se cacher, ils ont aussi besoin d’être vus. En effet, la rareté de la nourriture à ces profondeurs de 1 000 à 3 000 mètres fait que les individus se font rares. Quand vient le moment de se reproduire, il faut qu’ils se trouvent.
Pour cela, les poissons-dragons possèdent des photophores qui émettent de la lumière. Les plus gros, d’environ un centimètre, sont situés sur la tête, près de l’œil, où ils produisent une lumière bleu-vert. Des travaux antérieurs avaient déjà montré que les mâles bénéficiaient de photophores plus grands. « C’est sans doute un moyen de distinguer les deux sexes, ce qui est essentiel compte tenu de la difficulté qu’ils ont à trouver un partenaire », ajoute Kenaley.
Ainsi, alors qu’une femelle peut voir un mâle à 75 mètres de distance, il doit attendre d’être à 30 mètres pour la repérer. Un tel écart peut sembler insignifiant. Mais il peut amener les femelles à dépenser une quantité disproportionnée d’énergie pour s’approcher des mâles, énergie dont elles auront besoin plus tard.
Dimorphisme sexuel rare
Les chercheurs ont donc cherché à déterminer comment l’évolution aurait pu combler cette « lacune de détection ». Ils ont étudié 105 spécimens de deux espèces de poissons-dragons (Malacosteus niger et Photostomie de Guernesey) provenant des collections de l’université Harvard. Ne pouvant mesurer avec précision le globe oculaire, qui se dégrade avec le temps, ils ont examiné les cristallins – des lentilles particulièrement résistantes mesurant environ 1 millimètre de diamètre. Ils y ont constaté une différence de diamètre entre mâles et femelles d’environ 5 %. « Une telle différence peut paraître mineure, précise le chercheur. Mais elle permet à l’œil de recevoir beaucoup plus de photons. Nous avons été d’autant plus surpris que les observations de dimorphisme sexuel dans la taille de l’œil sont extrêmement rares. Des poulets, quelques serpents et un sébaste de la côte ouest américaine. À ma connaissance, c’est tout. »
Les scientifiques ont ensuite procédé à quelques modélisations. Résultat : le mâle gagne jusqu’à 5 mètres de visibilité. Là encore, cela peut paraître peu. Mais pour le poisson-dragon, cela signifie beaucoup, car les partenaires potentiels sont rares. Il est d’ailleurs probable que le mâle ne se fie pas uniquement à ses capacités visuelles pour trouver son âme sœur. Une étude menée sur les poissons-lanternes – également luminescents – a montré le pouvoir de l’odorat chez cette autre espèce des profondeurs et l’importance des signaux olfactifs pour leur reproduction.
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