Audrey Ferron Parayre est professeure agrégée à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Dominique Bernier est professeure de droit à la‘Université du Québec à Montréal (UQAM). Marie-Josée Bédard est médecin et professeure agrégée à l’Université de Montréal et Mariève Lacroix est avocate et professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa.
Ces dernières années, les médias et les réseaux sociaux ont mis en évidence la dénonciation croissante des soins obstétricaux et gynécologiques considérés comme violents, irrespectueux, abusifs ou maltraitants. Ces comportements, paroles, gestes ou omissions sont de plus en plus appelés violences obstétricales et gynécologiques (VOG).
Au-delà de la médecine, les VOG trouvent leurs racines dans la violence sexiste et dans les préjugés et stéréotypes sur les femmes (biologiques ou de genre) et les mères. Plus encore, elles sont l’expression d’une certaine forme de racisme et de colonialisme médical qui rend les personnes racialisées et autochtones plus susceptibles d’en être victimes.
Nous sommes un groupe multidisciplinaire et multi-universitaire travaillant dans les domaines du droit, de la médecine et de la sociologie, et nous nous intéressons aux enjeux médicaux, éthiques et juridiques des violences obstétricales et gynécologiques.
Nommer les violences obstétricales et gynécologiques
Des études canadiennes ont identifié des caractéristiques qui permettent de mieux définir les VOG :
- soins prodigués sans le consentement libre et éclairé de la personne
- pratiques professionnelles ou organisationnelles qui privent la personne de son autonomie reproductive
- une évaluation subjective de l’expérience de soins par le patient
Les facteurs systémiques sont également au cœur de la survenue du VOG, qui se combinent à ceux liés à la sphère interpersonnelle entre les femmes et le personnel soignant. En d’autres termes, il ne s’agit pas uniquement de personnes incompétentes ou malveillantes. Il s’agit principalement de pratiques professionnelles et organisationnelles, telles que les facteurs économiques, la culture professionnelle et les relations d’autorité et de hiérarchie entre le personnel et les soignants, et entre les soignants et les patients. On peut également ajouter que les stéréotypes, les préjugés et les biais de genre concernant les fonctions reproductrices des femmes expliquent, en partie, la survenue du VOG.
L’utilisation du terme « Le terme « violence » est critiqué, principalement parce qu’il suggère une intention de blesser ou de causer du tort. Certains soutiennent également que l’utilisation de ce mot peut être considérée comme une forme de violence envers les professionnels de la santé.
Cependant, on reconnaît de plus en plus que son utilisation est nécessaire pour permettre de nommer une réalité qui autrement est passée sous silence en raison des injustices épistémiques qui affectent souvent les expériences des femmes. La notion d’injustice épistémique signifie que les voix des femmes ne sont pas prises au sérieux et que leurs expériences de violence sont considérées comme normales, ignorées ou mises de côté.
D’après les données disponibles, la violence obstétricale est assez fréquente. Une étude réalisée aux États-Unis a révélé que 17,3 % des participantes ont déclaré avoir subi des violences obstétricales. Une enquête menée auprès de femmes ayant accouché en Australie a révélé que 11,6 % des 8 546 femmes interrogées avaient subi des violences obstétricales. Elles ont déclaré que les soins qu’elles avaient reçus leur avaient laissé un sentiment de déshumanisation, de violence et/ou d’impuissance. Les exemples de violence obstétricale dans cette étude comprenaient des examens vaginaux non consensuels et des interventions forcées allant de l’utilisation d’étriers au déclenchement du travail et aux césariennes.
Les violences gynécologiques sont moins documentées, mais certaines études en France montrent que des actes médicaux aussi banals que la prescription de pilules contraceptives donnent lieu à des actes et des paroles portant atteinte à la dignité des femmes. On note par exemple le déni de la souffrance, la culpabilisation des patientes, le jugement, les traitements imposés, la rétention d’information et la désinformation, ainsi que le paternalisme médical.
Nous ne disposons pas encore de données quantitatives canadiennes permettant de déterminer à quelle fréquence et dans quel contexte les VOG surviennent au Canada. Toutefois, au cours des prochaines années, des études à grande échelle permettront de cerner les réalités des femmes au Québec et partout au Canada.
Faire respecter les droits des femmes
Au cœur de nombreuses situations identifiées comme VOG se trouve un manque de consentement, ou un consentement donné alors que les informations pertinentes à la prise de décision n’ont pas été communiquées.
Le consentement aux soins renvoie au respect de l’autonomie, de l’intégrité et de la dignité des femmes, dans des contextes de soins qui touchent directement à leur intimité et à leur vie privée, et les rendent particulièrement vulnérables.
Plusieurs droits peuvent être mobilisés pour permettre aux femmes de mieux comprendre leurs prérogatives en matière de soins de santé reproductive :
- le droit de consentir (et aussi de refuser ou de changer d’avis)
- d’être informé de leur état et de participer aux décisions affectant leur plan de traitement
- être accompagné
- pour demander des conseils professionnels supplémentaires
- de choisir son professionnel ainsi que l’établissement de santé
- de recevoir des soins adéquats sur les plans scientifique, humain et social
Au Québec, ces droits sont garantis par la Charte des droits et libertés de la personne, le Code civil du Québec et la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Des normes similaires existent dans les provinces et territoires canadiens.
Mais connaître ses droits ne suffit pas à prévenir le VOG. Il faut aller plus loin : les femmes doivent pouvoir exprimer leurs droits et les exercer au bon moment.
Les prestataires de soins doivent ensuite être conscients de ces droits et être attentifs aux revendications des femmes. Malheureusement, les patientes craignent trop souvent que le fait de poser des questions ou d’exprimer leur désaccord puisse nuire à la relation thérapeutique et entraîner une dégradation des soins. Craignant d’être cataloguées comme des patientes « difficiles », elles choisissent souvent de se retirer à contrecœur de la prise de décision concernant leurs soins.
Respecter les différences culturelles, sociales et personnelles
Le respect des droits des femmes doit également se refléter dans les guides, protocoles et directives de soins qui affectent directement leur santé reproductive. Dans la pratique, l’application indiscriminée des normes et des guides de pratique peut conduire à des déviations génésiques volontaires, car les besoins et les préférences de chaque femme ne sont pas suffisamment pris en compte.
Au-delà des aspects scientifiques et cliniques qui président à la prise de décision dans l’élaboration de ces documents, le souci de prendre en compte la perspective et les droits des femmes concernées doit être primordial. Pour ce faire, leur participation au processus d’adoption des guides cliniques est nécessaire. Cela permet d’affirmer les spécificités culturelles, sociales et interpersonnelles qui peuvent influencer les besoins, les valeurs et les préférences des femmes ciblées par les guides.
Bien que l’on ignore actuellement dans quelle mesure elles sont réellement incluses dans la prise de décision au Canada, des travaux sont en cours pour mieux comprendre la mise en œuvre effective de leurs droits en matière de soins obstétricaux et gynécologiques.
Accès à la justice
En cas de violences conjugales, les mesures de réparation et d’accès à la justice doivent permettre aux victimes de reprendre confiance dans le système de santé et de reprendre le contrôle de leur autonomie reproductive. Les mécanismes de reddition de comptes et de responsabilité doivent offrir des possibilités d’amélioration des pratiques et des systèmes professionnels pour le personnel de santé, les gestionnaires et les directeurs.
Au Canada, des recours contre le personnel soignant ou les établissements de santé en matière civile, éthique ou pénale sont possibles. Ces recours demeurent toutefois difficiles d’accès et semés d’obstacles pour les victimes. Ces obstacles concernent par exemple les coûts élevés associés aux procédures en responsabilité civile, les longs délais et les risques de revictimisation liés aux procédures judiciaires.
Il est donc important d’étudier les mécanismes d’accès à la justice existants et de les améliorer afin de réparer les préjudices causés aux victimes, de reconnaître les responsabilités tant systémiques qu’individuelles et d’apporter des changements significatifs dans la prestation et l’organisation des soins.
Les femmes qui reçoivent des soins obstétricaux et gynécologiques doivent être entendues lorsqu’elles les jugent inadéquats. Elles méritent de participer à la définition de ce qui constitue pour elles des soins de qualité, respectueux de leurs choix et de leurs droits.
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