LE Dl René Wittmer est médecin de famille et professeur adjoint de clinique à l’Université de Montréal. Il est également président de la campagne Choisissez avec soin le Québecqui fait partie d’un mouvement canadien visant à réduire les examens et traitements médicaux inutiles.
On entend souvent dire que le dépistage « sauve des vies ». Dans cet esprit, certains spécialistes ont récemment vanté les bienfaits de la mammographie de dépistage dès 40 ans plutôt qu’à 50 ans, comme c’est actuellement le cas au Québec. Pourtant, le principal comité d’experts canadien sur le dépistage ne recommande pas d’abaisser l’âge auquel il devrait débuter. Qui faut-il donc croire ?
Passons ensemble en revue les inconvénients et les avantages associés à la mammographie de dépistage, comme je le ferais lors d’une consultation avec une patiente.
Dépistage contre diagnostic
Rappelons d’abord une distinction importante : le dépistage concerne les personnes qui ne présentent pas de symptômes semblant indiquer un cancer. Si une personne a remarqué une nouvelle masse au sein, on ne parle plus de dépistage, mais plutôt d’une démarche diagnostique où les avantages l’emportent nettement sur les inconvénients. Qu’une personne participe ou non au dépistage par mammographie, la présence d’un nouveau symptôme justifie une consultation chez un médecin.
En matière de dépistage, la réalité est toutefois plus nuancée : les avantages ne l’emportent pas toujours sur les inconvénients. Les bénéfices du dépistage sont malheureusement souvent amplifiés par ceux qui en font la promotion, et les risques associés sont occultés. D’où l’importance d’avoir une discussion approfondie avec les patients afin de les aider à prendre une décision éclairée.
Toujours bon, le dépistage ?
Pour comprendre les effets du dépistage du cancer, une analogie utile consiste à comparer les cancers à trois animaux : les tortues, les ours et les oiseaux. Quel type d’animal est le plus facile à détecter ? Les tortues, bien sûr, représentent des cancers qui se développent très lentement, ou pas assez pour constituer une menace. Même si cela peut paraître contre-intuitif, certains cancers, qu’ils soient découverts ou non, ne sont pas dangereux : leur détection est appelée surdiagnostic. Les oiseaux, qui représentent des cancers qui se développent rapidement, parfois de manière catastrophique, sont très difficiles à détecter par le biais du dépistage. Ces types de cancers peuvent survenir entre deux tests de dépistage normaux. Les ours, par exemple, représentent des cancers qui se développent à un rythme modéré et peuvent être dangereux ; pour ces derniers, le dépistage peut fonctionner car il est parfois préférable de les détecter tôt.
Cette simple analogie nous aide à comprendre que le dépistage peut parfois prévenir certains décès par cancer, mais qu’il comporte aussi des limites. On peut citer comme exemples la découverte de cancers qui ne se seraient jamais manifestés (surdiagnostic) et la faible efficacité à détecter des cancers plus agressifs.
Quels sont les bénéfices et les risques du dépistage par tranche d’âge ?
Le principal bénéfice attendu du dépistage est de réduire le nombre de femmes qui décèdent d’un cancer du sein parmi celles qui participent à un tel programme. Ce bénéfice est modeste pour le cancer du sein et varie selon l’âge auquel le dépistage est réalisé.
Il pourrait sembler que, même si le dépistage ne sauve pas des vies, il peut aider à empêcher le cancer d’atteindre un stade précoce, et donc à utiliser des traitements moins douloureux et moins invasifs. Les modèles statistiques estiment qu’au mieux, 2 femmes sur 1 000 éviteront la chimiothérapie grâce au dépistage si elles commencent à 40 ans plutôt qu’à 50 ans (et continuent jusqu’à 74 ans).
Cependant, cela n’a jamais été démontré par des études de terrain, l’effet du dépistage étant statistiquement non significatif.
Outre le surdiagnostic que nous avons expliqué précédemment, l’autre problème associé au dépistage est la présence de « faux positifs » (fausses alarmes), c’est-à-dire de femmes à qui on dira qu’elles ont besoin d’autres tests, voire d’une biopsie, pour finalement confirmer qu’elles n’ont pas de cancer.
Le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs (GECSSP) s’appuie sur les meilleures données scientifiques disponibles pour formuler ses plus récentes recommandations. Ce groupe d’experts indépendants, dont les connaissances sont reconnues à l’échelle internationale et dont nous devons être fiers, formule des recommandations en matière de soins de santé préventifs depuis 1976. Les outils qu’ils élaborent sont robustes : patients et professionnels de la santé peuvent leur faire confiance.
Ainsi, le GECSSP précise : « Les femmes de 40 à 74 ans devraient être informées des avantages et des inconvénients du dépistage afin de prendre une décision conforme à leurs valeurs et à leurs préférences. Si une personne de cette tranche d’âge est au courant de ces informations et souhaite se faire dépister, il faut lui proposer une mammographie tous les deux à trois ans. » Le GECSSP a mis à la disposition des femmes qui ont des questions des outils en ligne, où les avantages et les inconvénients potentiels sont exprimés de manière visuelle, claire et accessible.
Avantages et inconvénients potentiels pour 1 000 femmes dépistées ou non sur une période de 10 ans
Avec dépistage | Sans dépistage | |
40-49 ans | 368 fausses alarmes 2 surdiagnostics 1 ou 2 femmes mourront d’un cancer du sein |
Pas de fausses alertes Pas de surdiagnostic 2 femmes mourront d’un cancer du sein |
50-59 ans | 366 fausses alarmes 2 surdiagnostics 1 ou 2 femmes mourront d’un cancer du sein |
Pas de fausses alertes Pas de surdiagnostic 3 femmes mourront d’un cancer du sein |
60-69 ans | 257 fausses alarmes 1 ou 2 surdiagnostics 2 ou 3 femmes mourront d’un cancer du sein |
Pas de fausses alertes Pas de surdiagnostic 4 femmes mourront d’un cancer du sein |
70-79 ans | 110 fausses alarmes Au moins 5 surdiagnostics 2 à 5 femmes mourront du cancer du sein |
Pas de fausses alertes Pas de surdiagnostic 6 femmes mourront d’un cancer du sein |
À la lumière de ces données, le GECSSP ne recommande pas que la mammographie de dépistage soit réalisée systématiquement avant l’âge de 50 ans. Les femmes de 40 à 49 ans qui désirent subir un tel examen après avoir été informées des méfaits et des bénéfices devraient toutefois pouvoir l’obtenir dans le système public (c’est déjà le cas au Québec, avec une prescription médicale).
En revanche, pour les femmes de 50 à 74 ans, le groupe d’experts recommande une mammographie tous les deux ou trois ans, ce qui correspond aux critères du programme québécois; le rapport bénéfices-risques est d’ailleurs plus favorable dans cette tranche d’âge que chez les femmes de 40 à 49 ans. Toutefois, même chez les femmes de 50 à 74 ans, le Groupe souligne l’importance de s’assurer que les patientes soient informées des bénéfices et des préjudices potentiels.
Pourquoi la recommandation des experts américains est-elle différente ?
Le groupe de travail des services de prévention des États-Unis (l’équivalent de notre GECSSP) recommande depuis avril dernier le dépistage à partir de 40 ans. Pourquoi les deux groupes n’arrivent-ils pas à la même conclusion ?
Il s’agit d’une situation surprenante, car les mêmes études sont utilisées et les résultats obtenus sont similaires en termes de bénéfices et de préjudices. Le groupe de travail canadien, qui a procédé à une revue exhaustive des données concernant les préférences des femmes, considère que celles-ci devraient pouvoir prendre une décision en se fondant sur des informations de qualité, sans pression. Enfin, pour obtenir le remboursement des tests aux États-Unis, ceux-ci doivent être recommandés par des experts américains, ce qui n’est pas nécessaire au Canada.
Au final, que faire ?
Comme tout examen de dépistage, la mammographie comporte des avantages et des inconvénients. À la question « Docteur, êtes-vous pour ou contre le dépistage par mammographie ? », je répondrais que je prône une information juste et nuancée et une approche non paternaliste, car le choix de procéder ou non au dépistage est personnel. L’objectif doit être de prendre une décision éclairée, plutôt que de promouvoir ou de déconseiller le dépistage.
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