Sara H Wilford est professeure agrégée à l’École d’informatique et des sciences de l’information de l’Université De Montfort, au Royaume-Uni..
Regardez attentivement les images des affrontements violents en Angleterre et en Irlande du Nord et vous remarquerez quelque chose dont personne ne parle : les émeutiers que l’on voit se bagarrer, crier des insultes racistes, attaquer la police et mettre le feu à des bâtiments ont souvent entre 40 et 50 ans.
Parmi les 11 personnes arrêtées à Sunderland le 3 août, quatre correspondaient à ce profil démographique. L’autre était un retraité de 69 ans.
La radicalisation des quarantenaires, quinquagénaires et soixantenaires est un phénomène émergent mais négligé, mis en évidence par ces émeutes. Le fait que les affrontements actuels soient alimentés par de fausses rumeurs sur les réseaux sociaux n’est probablement pas une coïncidence. En effet, mes recherches en cours montrent que cette tranche d’âge est plus susceptible que les autres d’adhérer à de fausses informations et à des théories du complot.
Se radicaliser à 40 ans
On parle souvent de la catégorie des « plus de 50 ans », qui regroupe aussi des personnes très âgées qui n’ont pas grand-chose en commun avec le groupe qui nous intéresse ici. Les personnes de 40 à 65 ans ne sont pas nées avec Internet, mais elles y sont. Pourtant, elles sont moins conscientes des dangers de la désinformation en ligne que les plus jeunes, car on ne leur a pas appris à se méfier. De nos jours, des efforts considérables sont déployés pour apprendre aux jeunes à naviguer sur Internet en toute sécurité, mais les personnes d’âge moyen sont laissées pour compte.
Les quadragénaires, quinquagénaires et sexagénaires ont pour la plupart découvert Internet à l’âge adulte et ont appris à s’y prendre par eux-mêmes. Certains d’entre eux peuvent donc manquer de discernement quant à ce qu’ils voient en ligne. Cela peut les amener à prendre des décisions qui mettent leur vie en danger, comme participer à des troubles violents, attaquer une mosquée ou un hôtel hébergeant des demandeurs d’asile, en se fondant sur de fausses informations ou des rumeurs trouvées en ligne.
Un manque de discernement
Lorsque les assaillants ont pris pour cible une mosquée de Southport, le lendemain du meurtre de trois jeunes filles dans le quartier, ils pensaient que les enfants avaient été tués par un musulman ou un immigré. En fait, le jeune homme en détention pour l’attaque n’est ni l’un ni l’autre. La désinformation en ligne semble donc avoir joué un rôle important dans les troubles.
La nécessité de comprendre la tranche d’âge des 40-65 ans et sa vulnérabilité à l’extrémisme véhiculé par les réseaux sociaux a motivé un projet de recherche financé par l’UE, qui en est maintenant à sa deuxième année. Pour la première fois, des chercheurs de toute l’Europe se sont concentrés sur ce groupe de population pour comprendre pourquoi les réseaux sociaux et le contenu en ligne peuvent les pousser vers les recoins sombres de l’extrémisme.
Une population invisible
La tranche d’âge des 40-65 ans est souvent très engagée politiquement et a tendance à aller voter. Elle a donc du poids et a souvent des idées politiques fortes.
Pourtant, ce groupe est relativement invisible. Ce n’est pas à eux que l’on pense en premier lorsqu’on évoque la crise du logement, le coût de la vie ou le système de santé. Les jeunes ont longtemps été la cible privilégiée des médias grand public et du commerce : Internet n’a pas aidé.
Dans les publicités, on ne voit quasiment que des jeunes. Malgré leur pouvoir financier, il est rare que des personnes plus âgées fassent la promotion d’un produit ou d’un service qui ne leur est pas directement destiné.
Il y a donc toute une partie de la population qui est culturellement exclue ou marginalisée. Comme nous nous concentrons toujours sur la jeunesse, nous n’imaginons pas que les personnes âgées puissent être en première ligne de la radicalisation en ligne. Nous pensons surtout aux jeunes, qui seraient faciles à impressionner et à manipuler. Beaucoup de gens ont donc été surpris de voir autant de personnes d’âge moyen parmi les émeutiers qui ont causé tant de dégâts en Angleterre et en Irlande du Nord.
Exprimer sa colère sur les réseaux sociaux
Lorsque des groupes de toute sorte sont ignorés, le sentiment d’exclusion et d’isolement les pousse à se retirer en marge d’Internet. En ligne, le mécontentement est alimenté et encouragé. Les gens sont poussés à exprimer leur colère et à dialoguer avec des pairs du même âge et du même groupe socio-économique.
Ils peuvent chercher à se faire connaître et à s’influencer en créant ou en partageant des contenus trouvés sur des forums en ligne et sur les réseaux sociaux. Ces contenus reflètent leur vision du monde ou leur opinion, mais sont souvent basés sur des affirmations fausses ou pseudo-scientifiques. Malgré cela, ces messages sont considérés comme légitimes par des personnes qui partagent globalement le même point de vue (leurs pairs) et par des personnes plus jeunes qui respectent leur expérience et sont influencées par la sincérité apparente de leurs croyances.
Les personnes d’âge moyen sont généralement invisibles dans les médias et dans la société en général. Cela signifie qu’elles peuvent influencer les gens tout en restant en retrait, sous le radar des chercheurs qui tentent de comprendre la croissance de l’extrémisme en ligne. L’absence de stratégies pour lutter contre l’implication de ces individus dans des activités extrémistes est source d’inquiétude.
Sous le radar des autorités
La nature même d’Internet fait que l’information circule librement et ne peut être arrêtée. Il est presque impossible d’empêcher la propagation de fausses informations et de rumeurs sur Internet. Et plus elles sont chargées d’émotion, plus elles seront partagées.
Cette (dés)information, lorsqu’elle est entre les mains d’un groupe qui n’a pas forcément toutes les clés de compréhension d’Internet, notamment parce qu’il n’est pas né avec et parce qu’elle passe sous le radar des autorités qui travaillent sur la radicalisation, peut être dangereuse, comme l’illustre ce qui s’est passé dans les rues de Grande-Bretagne.