Caroline Sirois est professeure de pharmacie à l’Université Laval.
Nous avons tous cette image en tête : celle d’un proche, souvent âgé, manipulant une boîte de rangement encombrante de médicaments, classés par jour de la semaine. Et nous nous demandons : est-ce que c’est trop ? Comment toutes ces pilules interagissent-elles ?
En fait, à mesure que nous vieillissons, nous sommes plus susceptibles de nous retrouver aux prises avec des maladies chroniques qui nécessiteront la prise de plusieurs médicaments pour traiter différents problèmes. C’est ce qu’on appelle la polypharmacie. Elle s’applique lorsqu’une personne prend cinq médicaments ou plus, mais il existe toutes sortes de définitions avec différents seuils (par exemple, 4, 10 ou 15 médicaments).
Je suis pharmacienne et pharmacoépidémiologiste et je m’intéresse à la polypharmacie et à ses effets dans la population. Mon équipe de la Faculté de pharmacie de l’Université Laval et moi-même concentrons nos recherches sur l’utilisation appropriée des médicaments chez les aînés. Nous avons publié une étude sur les perceptions des aînés, des aidants et des cliniciens quant à l’utilisation des médicaments chez les aînés.
Polymédication chez les personnes âgées
La polypharmacie est très courante chez les aînés. En 2021, un quart des aînés canadiens se sont vu prescrire plus de 10 classes différentes de médicaments. Au Québec, les personnes de plus de 65 ans ont consommé en moyenne 8,7 médicaments différents en 2016, dernière année pour laquelle des statistiques sont disponibles.
Est-il acceptable de prendre autant de médicaments ?
Selon notre étude, la grande majorité des aînés et des aidants seraient prêts à arrêter un ou plusieurs médicaments si leur médecin leur disait que c’est possible, même si la plupart sont satisfaits des traitements, font confiance à leur médecin et estiment qu’il les traite du mieux qu’il peut.
Dans la plupart des cas, les prescripteurs agissent pour le bien de la personne qu’ils soignent. Les médicaments ont des effets positifs sur la santé et peuvent s’avérer indispensables dans de nombreuses situations. Mais si le traitement de chaque maladie est souvent adéquat, c’est l’ensemble qui peut parfois poser problème.
Les risques de la polypharmacie : cinq éléments à prendre en compte
Lorsqu’on évalue les polypharmacies, on constate que la qualité des traitements est souvent compromise lorsqu’il y a beaucoup de médicaments.
- Interactions médicamenteuses : La polypharmacie augmente le risque d’interactions médicamenteuses, ce qui peut provoquer des effets indésirables ou réduire l’efficacité des traitements.
- Un médicament qui a des effets positifs sur une maladie peut avoir des effets négatifs sur une autre : que faire lorsqu’une personne est atteinte des deux maladies ?
- Plus on prend de médicaments, plus le risque d’effets secondaires est grand : pour une personne âgée, le risque de confusion ou de chute est accru, par exemple, ce qui n’est pas négligeable.
- Plus une personne prend de médicaments, plus elle risque d’avoir un médicament potentiellement inapproprié. Ces médicaments comportent généralement plus de risques que de bénéfices chez les aînés. Par exemple, les benzodiazépines, des médicaments contre l’anxiété ou le sommeil, sont la classe la plus couramment utilisée. On veut minimiser leur utilisation pour éviter de provoquer des effets négatifs, comme la confusion, les risques de chutes et d’accidents de voiture, sans compter les risques de dépendance et de décès.
- Enfin, la polypharmacie est associée à divers effets indésirables sur la santé, comme une fragilité accrue, des hospitalisations et des visites aux urgences. Cependant, les études menées à ce jour n’ont pas toujours réussi à isoler l’effet spécifique de la polypharmacie. Comme elle est plus fréquente chez les personnes atteintes de plusieurs maladies, celles-ci peuvent également contribuer aux risques observés.
La polypharmacie, en revanche, est une combinaison de médicaments. Il en existe presque autant que de personnes. Les risques associés à ces différentes combinaisons peuvent varier. Par exemple, les risques associés à une combinaison de cinq médicaments potentiellement inappropriés seraient sûrement différents de ceux associés à des médicaments contre l’hypertension et à des suppléments vitaminiques.
La polypharmacie est donc complexe. Nos études tentent d’utiliser l’intelligence artificielle pour gérer cette complexité et identifier les combinaisons associées à des effets négatifs. Il reste encore beaucoup à apprendre sur la polypharmacie et ses effets sur la santé.
Trois conseils pour éviter les risques de la polypharmacie
Quelles sont nos options en tant que patient ou proche ?
- Posez des questions : Lorsqu’un nouveau traitement vous est prescrit, à vous ou à l’un de vos proches, soyez curieux. Quels sont les avantages du médicament ? Quels sont les effets secondaires possibles ? Est-il conforme à mes objectifs de traitement et à mes valeurs ? Combien de temps ce traitement doit-il durer ? Y a-t-il des circonstances dans lesquelles vous devriez envisager de l’arrêter ?
- Mettez régulièrement à jour vos médicaments : assurez-vous qu’ils sont tous utiles. Y a-t-il des bénéfices ? Y a-t-il des effets secondaires ? Y a-t-il des interactions ? Un autre traitement serait-il meilleur ? Faut-il réduire la dose ?
- Envisager la déprescription : Cette pratique clinique de plus en plus courante consiste à arrêter ou à réduire la dose d’un médicament inapproprié en consultation avec des professionnels de la santé. Il s’agit d’un processus de décision partagé entre le patient, son entourage et les professionnels de la santé. Le Réseau canadien pour la médication appropriée et la déprescription est un chef de file mondial dans cette pratique. Il dispose de plusieurs outils pour les patients et les cliniciens. Vous pouvez les consulter sur le site Web et vous abonner à l’infolettre si vous le souhaitez.
Les avantages l’emportent sur les risques
Les médicaments sont une ressource très utile pour rester en bonne santé. Il est courant que nous devions en prendre plusieurs en vieillissant, mais nous ne devons pas considérer cela comme une fatalité.
Tout médicament que vous prenez doit avoir des bénéfices directs ou futurs qui l’emportent sur les risques. Comme pour de nombreux autres problèmes, le dicton « la modération est toujours préférable » s’applique souvent à la polypharmacie.
Si vous avez aimé cet article, pourquoi ne pas vous inscrire à notre newsletter santé ? Chaque mardi, vous serez le premier à lire les explications toujours claires, détaillées et rigoureuses de notre équipe de journalistes et professionnels de la santé. Il vous suffit de saisir votre adresse mail ci-dessous. 👇