L’ancien conseiller politique, Pascal Mailhot, plonge au cœur des questions actuelles avec une connaissance intime des coulisses du pouvoir. Après avoir occupé des postes dans le cabinet du Premier ministre du Québec lors des mandats de Lucien Bouchard, Bernard Landry et François Legault, il est maintenant vice-président de l’agence de relations publiques TACT. Il co-écrite Pour conquérir le pouvoir: comment un troisième chemin politique s’est imposé au QuébecPublié par Éditions du Boréal.
En passant par le Québec pendant le carnaval, Mark Carney a été interrogé lors d’une interview s’il était prêt à passer le célèbre “test de Bonhomme”. Le banquier a répondu en imitant le geste emblématique de soulever la jambe pour toucher les pointes de ses doigts. “J’ai fait mes exercices”, a-t-il plaisanté. Bien joué.
Mais au-delà de cette gymnastique médiatique, il est imminent un test beaucoup plus exigeant pour le 24ee Premier ministre d’histoire du Canada: prouver qu’il comprend vraiment le Québec et les Québécois.
Sa campagne pour la direction du Parti libéral du Canada (PLC) n’a guère offert des indices sur sa vision. La plupart des commentaires se sont concentrés sur la qualité de ses français, comme s’il s’agissait du seul critère important concernant sa relation avec le Québec.
Le ministre François-Philippe Champagne semblait être en Pâmois lorsque son nouveau chef a dit des peines de français à l’ouverture de son discours de victoire. Le bar est bas!
Son français convient et, comme Jean-Benoît Nadeau NouvellesLes critiques ont été trop difficiles à la suite du débat en français entre les candidats à la chefferie. Cependant, le vrai pieu est situé ailleurs: comprend-il les aspirations profondes des Québécois?
Jusqu’à présent, son voyage peut à peine le vérifier, mais essayons toujours l’exercice.
Mark Carney impose par son calme indéniable et sa compétence. Sa stature internationale lui donne une qualité rare, intangible mais essentielle d’un chef d’État. Avec son apparence soignée et son air réfléchi, nous pouvons facilement l’imaginer dans la chaise du Premier ministre, au point que l’on croirait qu’un réalisateur de casting l’a sélectionné pour incarner ce rôle dans un film.
Cependant, il est un orateur terne qui suscite à peine l’émotion. Le contraste était évident lors de son couronnement à la tête de l’automate: Alors que Jean Chrétien, 91 ans, a électrifié la foule en jouant sur la fierté canadienne, Carney tenait un discours précis, intelligent mais terriblement aride. Face au «petit gars du shawinigan» qui a vibré la fibre patriotique, l’ancien gouverneur de la Banque du Canada ressemblait à un gouverneur de la Banque de Canada présentant les perspectives du prochain trimestre.
Ce profil de technocrate pourrait constituer un problème avec une bête politique comme Pierre Hairyvre. Le fait demeure que son expertise économique et sa carrière internationale imposent du respect, tandis que le chef conservateur n’a conduit que des missions d’État au meilleur de la moyenne.
Le programme du nouveau chef libéral est ambitieux pour le Canada: “Développez l’économie la plus forte du G7” par réduction d’impôt pour la classe moyenne, la construction de quatre millions de logements, l’exemption de la TPS pour les premiers acheteurs d’une maison et l’abandon de la taxe sur le carbone pour les consommateurs.
Il promet l’équilibre budgétaire en trois ans (mais uniquement en ce qui concerne les dépenses opérationnelles – la composante des dépenses d’investissement serait séparée) tout en augmentant les dépenses militaires à 2% du PIB. Supporter de l’élimination des barrières commerciales entre les provinces et les territoires, il préconise “une seule économie canadienne au lieu de 13”. Que faire des nationalistes du Québec Sugbill? Bof, qui formaliser?
Selon le politologue Tari Ajadi de l’Université McGill, cité dans Le devoirNous allons probablement assister à “un changement bien sûr en un gouvernement plus centriste, […] technocratique [et] néolibéral ». Exit également partie du vocabulaire progressif de l’ère Trudeau, sans avoir cependant abandonné les politiques de diversité chères à son prédécesseur.
Jusqu’ici, tout va bien. Mais la carrière de Mark Carney a été construite dans les grandes institutions financières internationales, loin des complexités du fédéralisme canadien (sauf peut-être de 2004 à 2007, alors qu’il était le principal du délégué des finances). Son soutien spontané pour le programme d’assurance dentaire – une incursion évidente dans un domaine provincial exclusivement des compétences, illustra une tendance de centralisation inquiétante.
Si un sujet peut en révéler beaucoup sur son degré d’ouverture sur les particularités du Québec, c’est la laïcité – cette question qui tourmente la société Québec pendant vingt bonnes années. Lors du débat en français pour la direction du parti en février, Carney a déclaré ” [soutenir] pleinement la tradition de la laïcité au Québec “, avant de mentionner dans la même phrase son soutien à l’intervention fédérale devant la Cour suprême contre la loi 21 sur la laïcité, qui revient un peu pour dire une chose et son opposé …
Nouvelle en politique et peu habituée au concept de “nation dans la nation”, Mark Carney devra s’appuyer sur des ténors libéraux comme Mélanie Joly et François-Philippe Champagne, qui l’a soutenu dans la race de leadership, pour améliorer ses connaissances et sa compréhension du Québec. Une source proche des cercles décisionnels m’indique que, dans le contexte de la guerre tarifaire avec les États-Unis, une approche de la collaboration avec le gouvernement Legault serait privilégiée, évitant les affrontements. Le désir de défendre Radio-Canada ferait également partie d’une stratégie plus large pour protéger nos institutions et nos français en passant.
Je recommanderais volontiers au nouveau Premier ministre, entre deux nouvelles sur ses nouvelles fonctions, en lisant le rapport Rousseau-Proulx sur les questions constitutionnelles du Québec, publié en 2024. Ce document éclairant peut lui révéler que les préoccupations fondamentales de la société québécoise, bien qu’elles soient moins publiées que par le passé, soient toujours en vie.
Sous Justin Trudeau, les libéraux n’ont jamais montré beaucoup d’ouverture par rapport aux affirmations du gouvernement Legault. En termes d’immigration, le Québec a subi une fin de l’inadmissibilité dans ses demandes répétées afin d’obtenir plus de pouvoir. Aucun gain en termes d’autonomie fiscale. Greniens dans des transferts sains. Rien pour protéger la spécificité culturelle du Québec ou renforcer sa présence à l’échelle internationale. Le bilan est maigre.
De l’échec de l’accord du lac Meech en 1990 aux tensions liées à la rédaction de celle de Charlottetown deux ans plus tard, des référendums aux crises constitutionnelles répétées, le Québec a occupé l’épicentre des débats politiques pendant longtemps. Aujourd’hui, ce qu’on appelait la question du Québec (Que veut le Québec?) Sur son statut politique et les aspirations nationales de sa population sont emportées sous le tapis. La belle province semble maintenant réduite à sa dimension populaire – une poutine avalée devant les caméras semble être suffisante pour montrer l’ouverture et la bonne volonté.
Si Mark Carney a brillamment passé le test de Carnival Man, le véritable examen demeure. Et il faudra bien plus que quelques mots en français lors d’un discours pour réussir.