Une augmentation de l’immigration
Les flux migratoires ont historiquement représenté un facteur important de la croissance démographique aux États-Unis, ceux-ci ayant augmenté de manière significative depuis les années 1970 en raison de politiques propices à l’immigration, comme l’adoption de l’Immigration and Nationality Act de 1965, qui a supprimé les quotas d’admission basés sur l’origine nationale. Depuis 2017, ces flux avaient nettement ralenti, conséquence des politiques gouvernementales plus restrictives sous Donald Trump, mais aussi et surtout en raison de la fermeture des frontières en 2020/2021 pendant la pandémie. Alors qu’en 2022, 46,2 millions d’immigrés vivaient aux États-Unis (13,9 % de la population totale), le National Bureau of Economic Research (NBER) estime qu’entre 2019 et 2022, le nombre d’arrivées a été inférieur de 1,65 million à ce qu’aurait justifié la tendance d’avant 2019. Cependant, cette dynamique s’est depuis inversée, le Congressional Budget Office (CBO) estimant que près de 3,3 millions de migrants, principalement originaires d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, sont arrivés aux États-Unis en 2023, la Californie, le Texas, la Floride et l’État de New York représentant plus de 50 % des destinations d’arrivée. Ces flux migratoires sont bien plus élevés que ceux rapportés dans le rapport précédent de 2019, qui estimait le nombre d’arrivées en provenance de l’étranger à 1 million pour 2023.
Une économie plus grande
Ce phénomène d’immigration flamboyante est particulièrement important lorsque l’on s’intéresse à la croissance potentielle d’une économie qui dépend de deux facteurs : la hausse de la productivité (notamment grâce aux investissements en capital) et la démographie. Les flux migratoires favorisent le premier facteur, car ils impliquent une plus forte croissance de la main-d’œuvre aux États-Unis (graphique 1) et donc de plus grandes capacités de production pour les entreprises.
Dans le même temps, ces flux représentent également un surplus de consommateurs pour une économie où la consommation représente plus de 70 % du PIB. En théorie, cela soutient à la fois l’offre et la demande de l’économie, impliquant des perspectives de croissance plus robustes sans générer davantage de pressions inflationnistes, et permettant à la création d’emplois de rester résiliente. En effet, l’augmentation de la population active liée à l’immigration contribue à résoudre l’un des problèmes majeurs du cadre macroéconomique américain post-pandémie : la tension du marché du travail liée à une demande de travailleurs, de la part des entreprises, trop élevée par rapport à l’offre.
Signe de ce déséquilibre, début 2023, il y avait aux États-Unis deux postes vacants pour chaque chômeur ; une situation qui favorise les travailleurs dont l’amélioration significative du pouvoir de négociation a conduit à une augmentation significative des salaires. L’arrivée de nouveaux travailleurs de l’étranger permet ainsi de freiner ce déséquilibre, soit en remplissant les postes vacants, soit en augmentant le nombre de chômeurs, réduisant dans les deux cas la tension sur le marché du travail et donc la pression sur les salaires.
Ce phénomène contribue également à expliquer une partie de la hausse du taux de chômage, qui s’établissait à 3,9 % en avril aux États-Unis. En effet, les immigrants qui entrent sur le marché du travail ne trouvent pas forcément un emploi immédiatement, alors qu’ils représentent une population où le taux de chômage est généralement plus élevé. Bref, une dynamique de hausse du chômage très différente des cycles de pertes d’emplois liés aux récessions observés dans le passé. Dans ce contexte, une économie plus forte ne signifie pas nécessairement plus d’inflation ou, comme l’a mentionné Jerome Powell lors d’une conférence début avril : « L’économie est plus grande, mais pas plus serrée. »
Un message clair que l’on retrouve notamment dans les dernières projections de la Fed en mars, qui a sensiblement revu à la hausse ses attentes de croissance pour 2024 sans toutefois modifier substantiellement ses anticipations d’inflation et de taux.
Un thème structurel, mais aussi politique
À moyen terme, le Congressional Budget Office (CBO) estime que 7,5 millions d’immigrés devraient augmenter la population américaine d’ici 2026, ce qui représenterait un soutien important aux perspectives de croissance américaine et à la création d’emplois, dont le niveau s’établit encore à près de 250 000 en moyenne sur les quatre premiers mois de 2024, la Fed considérant 100 000 comme un niveau d’équilibre. Un chiffre qui sous-estime probablement la forte dynamique migratoire qui devrait justifier un potentiel de 160 000 à 200 000 créations d’emplois par mois cette année, selon le Brookings Think Tank. Ces flux devraient permettre au marché du travail américain de continuer à se rééquilibrer et notamment de compenser le problème structurel du déclin de la main d’œuvre autochtone en raison du vieillissement de la population.
Ces projections sont toutefois à tempérer ; l’immigration est aussi un enjeu politique et devrait être un thème central du prochain scrutin américain de novembre 2024, l’immigration illégale ayant constitué une part importante des flux migratoires ces dernières années. Un sondage Gallup publié fin février révélait que l’immigration restait pour la première fois depuis 2018 le sujet prioritaire des Américains, bien devant l’inflation ou la situation économique en général. Un enjeu de sécurité aux frontières auquel les démocrates semblent prêts à s’attaquer, le projet de loi bipartisan sur l’immigration et l’aide étrangère étant toutefois tombé à l’eau début mars sous la pression des républicains.
Article rédigé avec la contribution de Lucas Meric, stratégiste chez Indosuez Gestion